Le Journal de Montréal
16 septembre 2007 · CLAUDIA LA ROCHELLE
Fascination et ambiguïte
Difficile d'entrer sans souffrance dans l'oeuvre de Marguerite Duras. À la fois lourde et fragile, l'adaptation théâtrale de son roman Savannah Bay, sur l'amour et la mort, ne peut être reçue sans créer de remous. Montée à Espace GO par le " fils spirituel " de madame, cette pièce suscite fascination et ambiguïté.
Il y a trente ans, une jeune fille est morte noyée dans la mer de SAVANNAH BAY. Quelques jours avant, elle donnait naissance à un enfant. Elle aimait un homme. Trop. Elle en est morte. Avec ce sujet pour toile de fond, deux femmes se font face. La plus âgée des deux a été actrice, l'autre, début trentaine, pourrait être l'enfant de la fille morte. Pendant que la plus jeune tente d'aider son aînée à retrouver la mémoire, des images du passé ressurgissent.
"Si jamais tu partais, partais et me quittais, me quittais pour toujours, c'est sûr que j'en mourrais, que j'en mourrais d'amour..." La chanson LES MOTS D'AMOUR d'ÉDITH PIAF et cette histoire de suicide constituent le moteur de SAVANNAH BAY, écrite en 1982. Un dialogue entre les deux femmes interprétées par FRANÇOISE FAUCHER et MARIE-FRANCE LAMBERT s'articule autour de thématiques chères à DURAS, comme l'amour, la mort, la vie, le legs, la filiation, la douleur d'être.
Entre jeu et mer
Si FRANÇOISE FAUCHER est lumineuse, impeccable d'un bout à l'autre, insaisissable comme plusieurs héroïnes durassiennes, MARIE-FRANCE LAMBERT hypnotise avec le bleu de ses yeux, la tonalité de sa voix, son souffle continu, en parfaite harmonie avec le flot des vagues de la mer de Savannah Bay.
ÉRIC VIGNER, qui a monté cette pièce en 2002 à la Comédie-Française, la reprend chez nous avec un amour évident pour DURAS, un respect infini qui l'a peut-être empêché d'en faire une adaptation plus audacieuse, moins scolaire. L'approche peu originale, sans être banale, laissera peut-ètre mi-figue mi-raisin les vrais " amants " de Duras, ceux qui préfèrent ses mots bruts aux images qu'ils dégagent.
N'empêche que la scénographie de VIGNER éblouit avec sa puissance évocatrice. Deux rangées verticales de rideaux de perles ocre et dorées semblent créer une démarcation entre le lieu habité par l'oubli et l'autre, où évolue la mémoire sauve. Deux zones où règne la douleur. Sensualité et rigidité se côtoient sur cette scène où seule, près d'un téléviseur et d'un tourne-disque, une chaise trône, accueillant la dame âgée pour l'enraciner, la remettre en contact avec une certaine réalité terrestre.
Entre elles
Une photo en fond de scène de DURAS souriant à une femme plus jeune qu'elle, quelques années avant sa mort en 1996, rappelle qu'au-delà de cette concomitance entre mort, vie et amour, il y a la transmission du savoir de l'une à l'autre et cet hommage aux gens de théâtre qui restent sur la ligne médiane entre les mensonges et les vérités, le "mentir-vrai".
Comme toute aventure dans le monde de la célèbre auteure de L'Amant, cette adaptation demeure une expérience sensorielle. Vous en retiendrez peut-être qu'il n'y à rien de vrai, sur scène comme dans la vie, rien dans le réel..