Le Télégramme
11 mai 2006
Éric Vigner adapte Duras, une leçon de mise en scène
Première bluffante de Pluie d'été à Hiroshima, hier soir. Le CDDB présentait au Grand théâtre une mise en scène étonnante et séduisante de deux textes de Marguerite Duras par Éric Vigner.
La pluie d'été et Hiroshima mon amour reliés dans une soirée commune. Pour le public, un moment hors du temps, dans un dispositif scénique très original. À ce point original qu'il serait dommage de le dévoiler ici. Pour Éric Vigner, l'occasion de donner une époustouflante leçon de mise en scène, quadrillant l'espace avec brio, gérant les déplacements avec élégance, à la manière d'un chorégraphe, et les décors à celle d'un plasticien...
Au commencement les livres. Ceux qui les connaissent y retrouveront les mots bruts et tranchants de Marguerite. Ceux qui n'ont jamais lu Duras la découvriront avec éblouissement, emportés par son implacable force d'évocation en trois coups de mots économes. Deux histoires bouleversantes, l'une d'un enfant hors normes, l'autre d'un amour déchirant.
Jouer, d'abord
Des jeunes comédiens s'emparent de La pluie d'été. Neuf, moderne, désinvolte, le ton est si naturel qu'en salle, les lycéens, plutôt remuants, d'habitude, ne mouftent pas. Pour pinailler, on peut reprocher une très légère propension à l'outrance dans l'interprétation, par moments, mais la majeure partie du temps, la justesse est là. C'est drôle, grave, dynamique, audacieux parfois, prenant toujours.
Se recueillir, ensuite
Après l'entracte, le duo Watabe-Weiss jouera Hiroshima mon amour. Vigner a choisi de marquer fortement l'ambiance par l'ajout de témoignages audio et l'intervention de silhouettes fantomatiques sur scène, qui rendent ce moment douloureux mais nécessaire. Ensuite, ce sont les mots mesurés de Marguerite qui tombent, un dialogue au coeur de la nuit, un amour impossible, déchirant.
S'émouvoir, enfin
Atsuro Watabe, qui dit son texte dans un français phonétique, est absolument bouleversant. Au-delà des mots, son visage, son corps, disent la tendresse et la douleur. Au salut, l'émotion qui se lit sur son visage en dira long sur son investissement physique du personnage...
Le choix d'interprétation de Jutta Johanna Weiss est peut-être plus sujet à discussion... elle compose un personnage dur, à l'accent fort, aux gestes brusques de tragédienne un peu raide, une vision possible du personnage, qu'on avait retenu sous les traits d'Emmanuelle Riva... Derrière des paravents de plexiglas, les deux silhouettes striées de couleur ne sont pas prêtes de s'effacer...