Marseille L'Hebdo · 14 janvier 2004 · SAVANNAH BAY (Comédie-Française)

Marseille L'Hebdo · 14 janvier 2004 · SAVANNAH BAY (Comédie-Française)
"Ce spectacle, c'est le combat de deux lionnes, deux monuments. Il faut être très fort."
Presse régionale
Avant-papier
Valérie Simonet
14 Jan 2004
Marseille l'hebdo
Langue: Français
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Marseille L'Hebdo

14 janvier 2004 · Valérie Simonet

Duel à SAVANNAH BAY

FRANÇAIS. Un face-à-face d'exception à Aix. CATHERINE SAMIE et CATHERINE HIEGEL disent les mots de DURAS et scellent la rencontre entre elles trois et un homme : éric Vigner, metteur en scène.

Créée à la Comédie française en 2002, SAVANNAH BAY entame sa deuxième année de tournée. Une grande pièce servie par deux comédiennes d'exception passe par Aix cette semaine.

Entretien avec un metteur en scène comblé, éric Vigner.

"SAVANNAH BAY" marque l'entrée de DURAS au répertoire de la Comédie française. De quelle manière y avez-vous contribué?

"J'avais monté Pluie d'été, de MARGUERITE DURAS, en 1993. C'était ma troisième mise en scène et elle avait eu un gros succès. C'est là que je l'ai connue. Elle était venue voir le spectacle et une amitié était née de cette rencontre. À partir de là, il y a eu la promesse secrète de la faire entrer un jour au Français. Il y avait, la concernant, une injustice.

C'était une promesse faite à MARGUERITE DURAS de son vivant?

Non, c'était une promesse non dite. Quand je l'ai connue, elle avait déjà 79 ans. C'était la dernière période de sa vie. Je me rappelle sa tête dans l'embrasure de la porte, à Trouville. Elle a dit : "Lui, je le reconnais". Après, on est allés boire des coups. Et c'est comme si on s'était toujours connus. Ça ressemble à une histoire d'amour. Elle a sincèrement aimé mon travail.

Que raconte SAVANNAH BAY?

C'est une fable sur une femme qui ne se souvient plus. De rien. Une autre vient là depuis plusieurs jours, qui lui fait écouter les mots d'amour de Piaf, lui enfile la robe qu'elle portait dans tel film... Pour qu'elle parvienne à se souvenir de la mort de sa propre fille. Noyée en Indochine parce qu'elle a voulu vivre la passion à fond et qu'elle est morte d'aimer. La femme se remémore cette histoire-là, pour la dépasser. C'est un processus salvateur.

Le théâtre de DURAS est plus ardu que le roman...

Il est plus essentiel : il y a très peu de mots. Ça joue beaucoup sur la répétition des choses, c'est assez musical. Ce n'est pas la même narration que dans l'Amant. Dans SAVANNAH BAY, il y a une essence de DURAS. Moi, je pense que c'est une très grande pièce. Peut-être trop visionnaire pour qu'on se l'approprie. On ne comprend pas tout, c'est assez elliptique. Comme dans un voyage, on embarque ou pas. Ou on est ému aux larmes ou on reste à la porte.

II faut donc avoir un immense talent pour insuffler du sens à ce texte.

Ce spectacle, c'est le combat de deux lionnes, deux monuments. Il faut être très fort. Ça ne supporte pas l'amateurisme, la mollesse. Il faut aussi avoir beaucoup vécu. CATHERINE SAMIE a plus de 70 ans, elle a beaucoup joué. Elle n'est pas dans une analyse rationnelle, réaliste, elle est dans la métaphore poétique. CATHERINE HIEGEL, elle, est pragmatique.

Elles sont les personnages, finalement...

La mise en scène était faite a 90 % quand j'ai choisi CATHERINE HIEGEL et CATHERINE SAMIE. C'est comme pour l'électricité. Il faut un plus et un moins. Et puis, ça prend des tournures très différentes selon les lieux. À Aix, dans ce petit théâtre à l'italienne, le rapport de proximité sera tellement fort qu'il va forcément se passer quelque chose.

Vous êtes face à trois femmes dans cette pièce. Comment faites-vous entendre votre voix ?

Dans SAVANNAH BAY, la fille de CATHERINE SAMIE découvre l'amour jusqu'à se laisser couler. L'homme qu'elle aime va chercher sa trace. Tout en étant absent de cette histoire, il est très présent. Il y a un grand plaisir pour un metteur en scene homme d'être entre deux femmes qui le cherchent. Ma position est très enviable."