Le Dauphiné Libéré
13 juillet 2006 · Mireille Rossi
Les brûlures de l'écrit
Imaginez un puzzle dont certaines pièces ont été volontairement ôtées. Des crevasses semées sur une scène, pour offrir aux comédiens la facilité d'apparaître et disparaître au gré de leurs interventions. Comme de beaux diables sortant de leurs boîtes, pour mieux surprendre le public.
Il en est ainsi de toute la première partie de la création d'ÉRIC VIGNER, présentée mardi soir au Cloître des Cannes. VIGNER qui ose le pari ambitieux de réunir deux oeuvres de Marguerite Duras pour donner à entendre la continuité dans l'écriture de cet auteur. Car c'est bien d'écrit qu'il est question, de bout en bout. Une langue qu'il parle depuis longtemps déjà.
De Pluie d'été, qui s'ouvre sur une lecture croisée des cinq interprètes qui endosseront un peu plus tard le rôle des personnages ainsi lancés : Ernesto, enfant "sauvage" et férocement (anti)social, sa mère, son père, sa soeur Jeanne, et l'instituteur qui devient soudain apprenant au contact de ces êtres au prise avec le mystère de la connaissance.
À Hiroshima mon amour qui retrace l'histoire de cette femme qu'une passion éphémère pour un Japonais ramène à ses premières amours interdites avec un soldat allemand.
De l'un à l'autre, quels liens sinon l'évidence de la force d'un auteur pour qui l'écriture s'invente au fur et à mesure de l'avancée de l'histoire? VIGNER a la délicatesse d'offrir ainsi un univers propice à l'épanouissement de la langue durassienne. Une langue qu'il parle depuis longtemps déjà. Puisqu'en 1993, il montait La pluie d'été et recevait en "cadeau" de l'auteur le mythique scénario d'Hiroshima.
Cet autre Japon
Liens encore, dans ces costumes aux accents mangas, revêtus par la famille d'Ernesto, qui conduisent à une lente remontée vers cet autre Japon, à jamais marqué par la destruction nucléaire. Liens toujours, des flammes qui ont dévoré le livre brûlé d'Ernesto, et parcourent la scène en final de Pluie d'été, permettant au décor de se transformer pour mieux porter vers Hiroshima, la consumée.