La Terrasse
Juin 2006 · VÉRONIQUE HOTTE
L'empreinte des Carmes sur la scène d'Hiroshima
Éric Vigner revisite l'écriture de MARGUERITE DURAS. Après la première création en 1993 de La Pluie d'été dans un cinéma brestois désaffecté, DURAS accorde au jeune homme les droits du scénario de Hiroshima mon amour. Du rêve à la réalité pour une aventure tant artistique que philosophique.
Quel espace scénique pour cette adaptation ?
Éric Vigner : C'est le Cloître des Carmes qui a généré l'espace dans lequel sont installés les spectateurs et les acteurs. La scénographie place les spectateurs à l'intérieur du corps du texte et dans le mouvement même de l'écriture. Un geste littéraire qui croise en même temps l'art de la mise en scène que je revendique, avec son vocabulaire et sa grammaire, et une troisième écriture, celle des M/M, les graphistes avec lesquels je travaille depuis dix ans.
Vous avez voyagé en Asie dont les cultures vous fascinent.
É. V.: J'ai pensé créer Hiroshima mon amour, une histoire d'amour sur les ruines du monde, à Lorient, ville détruite à 90 % lors de la Seconde Guerre mondiale. Le nom de Lorient provient du commerce des épices de la célèbre Compagnie des Indes, établi avec l'Orient. Je suis allé à Hiroshima et à Tokyo où j'ai pu tisser des liens de travail. À Tokyo, j'ai présenté en 2004 une performance, Hiroshima mon amour, au dernier étage de l'immeuble Louis Vuitton. D'où l'idée de reprendre le spectacle.
Avec le célèbre acteur japonais Atsuro Watabé et l'actrice d'origine viennoise, Jutta Johanna Weiss.
É. V.: Atsuro Watabé a appris le texte phonétiquement : tout passe par le son et le sentiment au-delà du sens, deux valeurs de l'écriture durassienne. Jutta Johanna Weiss parle le français avec un léger accent. J'aime les acteurs étrangers qui redonnent une langue entendue différemment. Quelle que soit l'histoire, le voyage intérieur procède d'un même mouvement d'écriture. La Pluie d'été, écrite à la fin de la vie de l'auteur, entre en résonance avec Hiroshima mon amour, écrit trente ans plus tôt. L'enfant, dans La Pluie d'été, quitte l'école car il croit en Dieu, et la femme française dans Hiroshima n'a rien vu de la ville anéantie. Il s'agit d'amour au sens large dans lequel la question de Dieu reste centrale...