La Terrasse · Octobre 2002 · SAVANNAH BAY (Comédie-Française)

La Terrasse · Octobre 2002 · SAVANNAH BAY (Comédie-Française)
Vivre un sentiment d'amour
Presse régionale
Critique
Véronique Hotte
Oct 2002
La Terrasse
Langue: Français
Tous droits réservés

La Terrasse

Octobre 2002 · Véronique Hotte

Vivre un sentiment d'amour sans en vivre l'histoire

L'acuité des paroles, l'intensité des silences, l'inachèvement des phrases, l'éloquence des ellipses. De quoi parlent les personnages chez Duras ? De l'affectivité vécue. Ou bien simplement rêvée que recèle l’espace intérieur de l’être. Donner à revivre l'inouï de la passion à travers le verbe :
"Redis-moi l’histoire" supplie la jeune femme devant l'actrice âgée. Madeleine Renaud pour qui Duras avait écrit Savannah Bay en 1982 tenait ce rôle destiné à "une comédienne qui aurait atteint la splendeur de l'âge". .•

C'est au tour de la tragédienne Catherine Samie de reprendre la partition sous le regard attentif du pétillant Éric Vigner. Un rôle d'actrice, de grande comédienne qui aurait joué dans les théâtres du monde entier, irréversiblement blessée par cette histoire de mort d'une jeune fille, la sienne... Mourir d'aimer, plaisir et douleur ensemble. Les deux femmes ne cessent de raconter et de recréer cette histoire de passion mythique entre deux amants. "Vous voyez, que ces deux-là auraient pu, oui, comme si c'était possible, qu'ils auraient pu mourir d'aimer."

Matière précieuse et scénographie kitsch...

Utopie, fantasme, fiction, ce sont les forces qui habitent ce duo de femmes chez qui l'oubli et les souvenirs se mêlent. Le sentiment amoureux est comparé au théâtre, où "Presque jamais rien n'est joué... tout est toujours comme si... comme si c'était possible." Les liens noués avec l'existence relèvent d'un mode hypothétique et conditionnel, rattrape aussitôt par une conscience et un corps vivants.
Madeleine ne bouge que peu, soumise au temps de la douceur et de la lenteur du désir. De même et plus profondément encore la jeune femme, si ce n'est qu'elle arpente librement le vaste espace de la scène quand la saisit une pensée. Catherine Hiégel - une Marilyn Monroe réinventée - est cette confidente qui questionne son aînée dès les premiers instants de la représentation dans la salle éclairée, l'actrice impose dans la majesté un silence d'or. Et tout est matière précieuse dans la scénographie kitsch d'Éric Vigner, les rideaux de perles de couleurs, le bruit langoureux de la mer, les cris stridents des oiseaux et la voix inoubliable d'Emmanuel Riva dans Hiroshima mon amour de Resnais. Brûlure et apaisement.