Télérama
5 juillet 2006 · Joshka Schidlow
Duras à l'audace
Pluie d'été à Hiroshima monté par ÉRIC VIGNER
La rencontre de l'artiste plasticien ÉRIC VIGNER avec Marguerite Duras a été aussi décisive que celle de Patrice Chéreau avec Bernard-Marie Koltès ou d'Alain Françon avec Edward Bond. Ces metteurs en scène ont trouvé l'écrivain dont les séismes intérieurs stimulent leur imagination. En 1993, ÉRIC VIGNER avait déjà adapté La Pluie d'été. Il en présente aujourd'hui une version inédite, accompagnée d'une adaptation d'Hiroshima mon amour, dont l'écrivain lui avait donné les droits, séduite par le spectacle tiré de La Pluie d'été.
Des écrits qui sont étroitement liés au cinéma. Du premier, elle tira en 1984 un film, Les Enfants ; le second était un scénario dont Alain Resnais fit un chef-d'oeuvre. Ce metteur en scène, qui dirige le CDDB-Théâtre de Lorient depuis 1995, a toujours eu le goût du risque. Il fallait, cette fois, un certain culot pour confier le rôle d'une Française tondue à la Libération, coupable d'avoir aimé un soldat allemand, à Jutta Johanna Weiss, sa comédienne fétiche, qui rappelle davantage Ingrid Caven qu'Emmanuelle Riva. Quant à l'amant japonais, il est joué par le Nippon Atsuro Watabe, qui, au départ, ne comprenait pas un traître mot de français...
Cette élégie amoureuse, où culmine le talent de Duras pour transmuer les blessures de l'existence en oeuvre d'art, est précédée par La Pluie d'été : le tableau d'une famille dont le fils, Ernesto, déclare un jour : "Je ne retournerai pas à l'école parce qu'à l'école on m'apprend des choses que je sais pas." Les deux pièces ont un même décor, imaginé par le duo de graphistes M/M : une vaste surface lisse semée de trous d'où les comédiens surgissent et où ils disparaissent. Dans La Pluie d'été, ces trous figurent les embûches semées sur le parcours des personnages ; dans Hiroshima mon amour, ils sont comme les traces laissées par la bombe atomique. Lors des premières représentations, les deux pièces étaient séparées par un entracte. ÉRIC VIGNER a finalement décidé de les réunir sans coupure. Il suggère ainsi qu'en refusant de rentrer dans le rang, l'enfant Ernesto rejette une civilisation juste bonne à engendrer des fauteurs de désastres...