La Croix · 5 octobre 2002 · SAVANNAH BAY (Comédie-Française)

La Croix · 5 octobre 2002 · SAVANNAH BAY (Comédie-Française)
Catherine Samie a en elle tous les temps, tous les âges.
Presse nationale
Critique
Didier Méreuze
05 Oct 2002
La Croix
Langue: Français
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La Croix

5 octobre 2002 · DIDIER MÉREUZE

La musique des sphères de Catherine Samie

Le rideau de perles de cristal barre le plateau. Blanc. Rouge. Rose... Un frémissement s'agite, comme les vagues de la mer. Sur le devant, une dame habillée de gris chantonne en un murmure les paroles écrites pour Édith Piaf : "C'est fou c' que j' peux t'aimer, C' que j'peux t'aimer des fois, Des fois, j' voudrais crier..."

Catherine Samie joue Savannah Bay sur la scène de la Comédie-Française. Ou plutôt elle "est" la vieille dame aux souvenirs d'un amour de jadis imaginée par Marguerite Duras. C'était au Siam. Elle avait 16 ans. Pressée par une plus jeune femme qui se tient à ses côtés, elle se raconte au rythme des événements resurgis de sa mémoire. Peut-être vrais. Peut-être faux. Seule est sûre la passion qui la dévore encore...

La pièce a été écrite pour Madeleine Renaud qui l'a créée en 1983, en son théâtre Renaud-Barrault. Bulle Ogier était la "femme" qui interroge. Ici, c'est Catherine Hiegel, robe rouge. Catherine SaMIe, elle, reprend le rôle de Madeleine Renaud.

On voudrait comparer. C'est en vain. On ne peut que se laisser prendre à l'instant magique de la représentation mise en scène, toute en touches fines, par Éric Vigner. On est comme hors du temps. En apnée. Fasciné. Incapable de faire la part des choses, entre le jeu des mots et celui de Catherine Samie, entre son corps et la parole proférée. Comme si l'actrice et le verbe ne faisaient plus qu'un, en symbiose, en fusion alchimique, suspendus dans l'espace. Évoquant ces fameuses sphères de cristal aux musiques singulières où Aristote enfermait les planètes censées tourner autour de la terre.

Chacun de ses mouvements provoque un sentiment d'irréel, d'impalpable, d'évanescent. De même chacune de ses immobilités. Son regard emplit la salle et la scène si fort qu'il semble embrasser trop de mondes pour que, simple spectateur, nous puissions les imaginer — un regard profond qui soudain s'ouvre et s'illumine sous l'effet de ses mines de gamine, espiègle à l'éternelle jouvence.

En elles sont tous les temps, tous les âges. Ceux de ses débuts, c'était dans Les Femmes savantes, en 1957, à peine sortie du Conservatoire et ceux d'aujourd'hui alors que, doyenne des cornédiens-français, eIle s'approche des 70 ans.

À l'observer jouer, on s'inquiète de son existence. Existe-t-elle réellement hors du plateau? Ou n'est- elle pas plutôt un fantôme en attente de sa "vraie" vie une fois retrouvés ses personnages — leurs habits, leur peau.

Pendant qu'on s'interroge, Catherine Samie, elle, poursuit son murmure : "Si jamais tu partais, Partais et me quittais, Me quittais et pour toujours..."