Ouest France
Novembre 1994 · Josiane Guéguen
Chemin de croix pour perdants-nés
Éric Vigner, le metteur en scène de la pièce présentée samedi et dimanche à la Passerelle, Reviens à toi (encore), aime à l'évidence les personnages en marge. Les héros qu'il choisit de mettre en scène vivent dans les franges, dans les limites, dans le décalage. Là où, dit-il, entre fiction et réel, peut se glisser la poésie.
Reviens à toi (encore) est un texte d'un écrivain britannique, Gregory Motton, d'origine irlandaise par sa mère. Il y a du celte chez les personnages qu'il invente, du celte que le metteur en scène illustre, avec en point d'orgue entre les tableaux, la cornemuse de Patrick Molard. Les héros de Motton, ce sont des errants magnifiques, des clochards célestes, des perdants nés, se gargarisant de mots et de visions. Comme autant de liens nécessaires entre l'hier et le demain, entre l'onirique et les quelques lambeaux de sinistre réalité qui s'imposent à eux.
La pièce, en 14 tableaux, évoque le Chemin de Croix et la passion du Christ. Comme dans le nouveau testament, dès le premier tableau, on sait que Jésus va mourir, crucifié. On sait qu'il n'y a pas de salut possible. Il est écrit que les abeilles peuvent bien tourner en rond dans la bouteille où on les a attirées avec de la confiture mélangée d'eau : elles n'en sortiront pas. Il est écrit que Madame James, l'enfant solitaire de la grand-route et l'errant Abraham Driscoll peuvent bien essayer toutes les phrases de leur monde pour donner un sens à la fatalité : en vain.
Reviens à toi (encore) est une pièce éclatée, difficile d'accès, sans la grâce sublime de LA Pluie d'été, la pièce de Marguerite Duras montée l'an dernier par le même Éric Vigner.
L'interprétation pointue des trois comédiens et l'extrême inventivité de la mise en scène avec une utilisation rare des tons et des espaces du petit théâtre à l'italienne emportent l'admiration. À défaut d'une entière adhésion.