Nice Matin
15 octobre 1994 · Nicole Laffont
Trois comédiens superbes pour une fable qui ne convainc pas
Aujourd'hui, les héros sont tristes et le destin d'une écoeurante fadeur. La tragédie est d'un autre temps, le mélo du XX° s'apparente à une clownerie douteuse. On ne peut oublier le théâtre de l'absurde ou le courant panique. Nous sommes constitués par ces fables modernes qui mettent en scène l'homme dans sa déréliction, égaré dans un no man's land qui n'a de fin qu'au moment du trépas. On ne s'achemine pas vers une mort glorieuse comme au XVIIe, on glisse doucement dans la fange jusqu'à l'adieu.
Seulement Beckett est unique et Arrabal inimitable. La quête du Graal prend mille facettes mais il n'y a qu'un Godot. D'où la difficulté d'entrer sans trébucher dans l'univers de Gregory Motton. Sa pièce, Reviens à toi (encore), à l'affiche du Théâtre de Nice, met en scène trois personnages en quête de rédemption. Ni par l'amour, ni par la haine, sentiments étrangement absents dans le malaise général.
Lui, un marginal paumé, rejeté par une société trop pragmatique, est magistralement incarné par Bruno Raffaelli qui, sur un fil, parvient à maintenir l'équilibre entre le doute et la folie. Elle, handicapée du corps ou de l'esprit selon les tableaux (il y en a quatorze, nombre qui évoque les stations du chemin de croix) se débat dans ses névroses et ses obsessions. La comédienne argentine Marilù Marini donne à cette "femme sombre" une densité latine. Ses cris, ses éclats, masquent une sensibilité à fleur de peau.
Quant à la petite fille qui n'arrête pas de saigner comme son coeur pleure, elle essaie en vain de trouver sa place et quelque brin d'amour dans ce huis-clos. Alice Varenne lui donne une dimension tragi-comique.
Car l'humour est présent dans ce spectacle plutôt gris, couleur de notre modernité. Quelques notes fredonnées de La vie en rose et la musique répétitive de la cornemuse (jouée par Patrick Molard) ponctuent un texte finalement assez ambigu car passé et futur se mêlent sans qu'il y ait possibilité de s'y retrouver au présent.
Le metteur en scène, Eric Vigner, se réfère volontiers à Vitez: "La tragédie n'est pas un dialogue, mais un récit à un public idéal: le coeur."