Ouest France
26 mars 1992 · Pierre Gilles
La guerre en morceaux choisis
Un jeune metteur en scène d'origine rennaise, Éric VigneR, vient de créer à Brest Le régiment de Sambre-et-Meuse, une pièce où il mêle les morceaux choisis de grands écrivains et d'un peintre qui a fait Verdun. Un spectacle, certes, mais qui, au-delà de sa drôlerie, fait réfléchir.
BREST - Éric Vigner a fait ses classes sous la direction de Guy Parigot et de Roger Angebaud. L'enseignement devait être bon : le metteur en scène rennais a fait son chemin depuis en créant dans la région parisienne la compagnie , Suzanne M. qui réunit de jeunes acteurs professionnels (moyenne d'âge, 22 ans). En création-résidence à Brest, la compagnie présente en ce moment au Quartz son dernier spectacle : Le régiment de Sambre-et-Meuse.
De 14-18 à la guerre du Golfe
On l'a compris : avec ce titre qui est celui d'un chant composé à la gloire d'un régiment mort héroïquement pour la France, le spectacle ne peut parler que de la guerre. Une guerre qui les mêle toutes : de celle de 14-18 à la guerre du Golfe.
Du reste, c'est la guerre du Golfe qui a déclenché le projet. Dans une usine désaffectée d'Issy-les-Moulineaux. Vigner répétait alors son premier spectacle : La Maison d'Os. Il y était déjà question de la mort et de l'existence.
La guerre est un sujet qui hante Éric Vigner : "Qu'est-ce que la guerre pour nous, pour moi ? Ça n'existe que par la littérature, la mémoire de mon père, de mon grand-père, la peinture, la poésie, le cinéma..." Alors, il a inventé la guerre au théâtre. Une guerre en morceaux choisis signés Alphonse Allais, Louis-Ferdinand Céline, Jean Genet, Roland Dubillard, Georges Courteline, et un peintre, Franz Marc, engagé volontaire à Verdun.
Une guerre représentée en fragments, loin de la structure dramaturgique classique, de l'arrivée du "bleu" au régiment à la mort dans les tranchées ou... dans le désert, en passant par les états d'âme des soldats, leurs confidences, leurs peurs. Et perdu dans cette fureur, dans cette avalanche de feu. de fer et de sang, le peintre justement, qui parle de son art et qui imagine sur le champ ce bataille une autre représentation du monde...
Caricature et poésie
Le spectacle d'Éric Vigner, admirablement servi par de jeunes acteurs, est très fort. Les images font penser au fantaisiste Méliès ou au cinéma burlesque des années vingt ou encore aux B.D. les plus modernes. Le mode de la représentation est la caricature. mais elle recèle énormément de poésie, même dans des scènes qui relèvent de la scatologie ou de la... médecine légale.
Car derrière le rire - et l'on rit beaucoup - le sujet reste grave, d'un bout à l'autre du spectacle. Éric Vigner prend la guerre - l'homme dans la guerre - sacrément au sérieux, et donne à réfléchir.