Ouest France
26 février 1994 · Josiane Guéguen
Six comédiens étonnants de fraîcheur et d'amour
Pluie d'été, à bout de tendresse
LA Pluie d'été, c'est l'histoire d'un surdoué, né et élevé dans la zone. Ernesto, fils d'une immigrée venue du Caucase, enfin de ce côté-là, et d'Émilio l'Italien, a plein de frères et soeurs, dont Jeanne qui règne avec lui sur la Casa, la maison, avec tout un monde de "brothers" et de "sisters". Les gens étrangers, étranges, décrits par Marguerite Duras, recréés par le metteur en scène Éric Vigner, ne sont pas drapés dans les oripeaux de la misère. Même s'ils flirtent à l'évidence avec le quart monde de par leur mode de vie, dans une baraque oubliée, entre autoroute désaffectée et centre commercial où les mômes, qui ne savent pas lire, dévorent les bouquins du Prisunic.
Leur monde
Simplement, ils vivent dans leur monde, inventé chaque jour, entre la mère qui épluche les pommes de terre et le père qui chante en taux russe la berceuse favorite de sa femme. Marguerite Duras leur invente un langage étonnant : un français sans codes, utilisé dans son sens premier, ou alors des envolées lyriques. L'irruption de la réalité, c'est l'école où c'est obligé d'aller. Et Ernesto qui ne veut plus y retourner "parce qu'à l'école, on m'apprend des choses que je ne sais pas", mais qui a appris à lire tout seul et qui apprend les choses sous les fenêtres du collège, du lycée puis de l'université.
La première partie du spectacle est proprement éblouissante, gaie, inventive. La ferveur des spectateurs (jamais celle des comédiens) s'assoupit un peu dans une seconde partie plus "durassienne" au discours plus ambigu. Mais quelle belle soirée, quel beau spectacle, que cette Pluie d'été portée à bout de tendresse par six jeunes comédiens étonnants de naturel, de fraîcheur, d'amour des mots et du théâtre.