Télérama · 16 mars 1996 · LA PLUIE D'ÉTÉ

Télérama · 16 mars 1996 · LA PLUIE D'ÉTÉ
Le film "La Pluie d'été" de Jacques André
Presse nationale
Critique
Fabienne Pascaud
16 Mar 1996
Télérama
Langue: Français
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Télérama 

16 mars 1996 · Fabienne Pascaud

Au départ, en 1984, un drôle de film-fable de Duras, Les Enfants, où l'on suivait les hallucinantes aventures d'Ernesto, ce fils d'émigré qui ignorait son âge, et refusait d'aller à l'école parce qu'on y apprenait des choses qu'il ne savait pas... Et puis, en 1990, Marguerite tire du film un petit livre ironique, Pluie d'Eté. Et puis, en 1993, un jeune metteur en scène-acteur, Éric Vigner (aujourd'hui directeur du Centre dramatique national de Bretagne), veut faire de ce livre un spectacle pour ses camarades du Conservatoire national.

Le dit spectacle, présenté pour quelques soirées seulement (et sur invitation !) a alors tant de succès, plaît tant à l'auteur, qu'on lui organise des tournées nationales, internationales... Et qu'aujourd'hui, on en fait même un film, un nouveau film hors normes, décapant et gai : retour à la case départ, véritable conte de fées...

C'est qu'Éric Vigner et sa magnifique bande de comédiens (citons entre autres Jean-Baptiste Sastre et Hélène Babu) ont su, avec transparence et joyeuse simplicité, nous restituer l'humour et la poésie d'une histoire absurde et folle, d'un apprentissage du monde hallucinant et halluciné. Qui se moque de toutes les frontières, de toutes les barrières : psychologiques, sociales, familiales, politiques... À la manière fluide et bizarre, justement, dont la troupe monte ce texte si dérangeant : entre lecture, récitation, scènes de répétitions ou de représentations. On croit s'y perdre, d'autant que l'espace est volontiers éclaté ; et pourtant on s'y retrouve toujours ! Même lorsque les acteurs jouent dans la salle, au balcon ou à l'orchestre ; même lorsqu'ils semblent discuter entre eux plutôt qu'interpréter un rôle.

Le réalisateur Jacques André a subtilement mis en image cette « dispersion » pleine de vitalité et d'ingénuité. On passe d'un train au Conservatoire, d'un décor de théâtre à une gare. Et on savoure d'autant plus la langue naïve et rouée de Marguerite Duras à travers cette mise en scène tout en clins d'œil et en surprises. Les mots, frais et vifs, y éclatent comme des soleils. Ici, la grande prêtresse des silences et des non-dits désespérés est devenue enjouée et enfantine magicienne.