La Tribune · 7 décembre 1993 · LA PLUIE D'ÉTÉ

La Tribune · 7 décembre 1993 · LA PLUIE D'ÉTÉ
Un cocktail bouleversant.
Presse nationale
Critique
07 Déc 1993
La Tribune
Langue: Français
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La Tribune

7 décembre 1993 · C.A.

Un cocktail bouleversant

LA PLUIE D'ÉTÉ, ou comment, à partir d'un roman, une poignée d'élèves du Conservatoire sont devenus pensionnaires à part entière de la toute jeune compagnie Éric Vigner : c'est la belle aventure déclenchée par un texte à la fois minimaliste et maniéré de Marguerite Duras. Vigner, trente-trois ans, comédien, metteur en scène et même à l'occasion scénographe, dirigeait, de janvier à mars 1993, un atelier au Conservatoire national de Paris : des exercices de lecture et de jeu à partir de textes pas du tout destinés au théâtre. L'approche n'est pas neuve, c'est une mode que de substituer aux vraies pièces des récits faits pour être plutôt lus calé dans un fauteuil. Mais ce texte-ci de Duras est un étrange cocktail de narration, de dialogues et de didascalies, trois styles d'écriture qui, subtilement, se fondent l'un dans l'autre, forment une mosaïque lisse, quelque chose d'inédit et pourtant de totalement familier.

La petite équipe d'Éric Vigner en a fait un spectacle si bouleversant que le Quartz de Brest et le théâtre de la Commune d'Aubervilliers l'ont adopté et programmé, et qu'une tournée va suivre jusqu'en Russie. C'est l'histoire d'une famille d'immigrés à Vitry-sur-Seine, une banlieue que l'auteur a longtemps arpentée durant le tournage de son film les Enfants.

Une Polonaise et un Italien

Elle, la mère, vient de Pologne, lui, le père, d'Italie. Elle fut femme de ménage à la mairie, lui, maçon sur les chantiers d'autoroute. Ils sont chômeurs et ont sept enfants, les frères et soeurs de Jeanne et d'Ernesto, les aînés, les vilains canards qui ne font rien comme les autres et qui s'aiment comme les Enfants terribles. Ernesto ressemble au Victor de Roger Vitrac, il est terriblement intelligent et immense pour ses douze ans (à moins qu'il n'en ait vingt, on ne compte pas dans la tribu). Mais ce n'est pas un garnement surréaliste, c'est un rêveur, le philosophe en herbe du désenchantement et de la réalité. Il ne va pas à l'école "parce qu'on y apprend des choses qu'il ne sait pas", il dit que "ce n'est pas la peine", une phrase qu'il répète souvent avec douceur. Il va apprendre seul en ouvrant un grand livre brûlé qui raconte l'histoire d'un roi juif et il deviendra un grand savant.

Jean-Baptiste Sastre - Ernesto, confondant d'innocence, Hélène Babu, Philippe Metro, Anne Coesens, Thierry Collet, Marilu Bisciglia jouent formidablement, livre en main, des personnages qui ne sont pas de leur âge. Ils aiment ces jeux de lecture qu'ils ont encore exercés en clôture de l'Académie expérimentale des théâtres avec la déclaration Oberiou sur l'avant-garde soviétique dé 1927. Ils vont en apprendre le texte en russe puis l'emmèneront à Moscou. La Pluie d'été y sera servie pour dessert, et en français.