Les Inrockuptibles · 28 avril 2004 · "... OÙ BOIVENT LES VACHES."

Les Inrockuptibles · 28 avril 2004 · "... OÙ BOIVENT LES VACHES."
L'humour de Roland Dubillard ne se contente pas d'être vache
Presse nationale
Critique
Patrick Sourd
28 Avr 2004
Les Inrockuptibles
Langue: Français
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Les Inrockuptibles

28 avril 2004 · Patrick Sourd

Ruminatoire

Revisité par ÉRIC VIGNER, l'humour de ROLAND DUBILLARD ne se contente pas d'être vache, il se révèle d'une lucidité sans pareil pour épingler l'art et la politique.

"Viens, mon Olga, viens leur dire ces trois mots que tu sais, ces trois mots de vache, ces trois mots vaches, viens les leur dire qu'on voie ce que vaut leur papier, s'il résiste à trois mots de vache, tirés à même la vache comme j'ai dû moi te les faire dire, et qu'on voie un peu si leur papier journal est capable de les contenir."

Comment rendre compte de l'humour de ROLAND DUBILLARD ? Bien avant l'intervention surprise d'Olga la vache, la question trottait déjà, de synapse en synapse, dans la tête du chroniqueur. Mais être ainsi mis au défi, désigné par l'auteur comme incapable de saisir la pensée d'une vache, transformait cette insidieuse appréhension en une véritable angoisse.

Se voyant au pied du mur, mis en demeure de rendre des comptes, on se préparait a botter en touche pour garder la face, à classer ce parcours au rayon de l'absurde, à le ranger dans la rassurante catégorie des Objets théâtraux non identifiables. Heureusement, lors de cette fameuse soirée, Olga préféra garder le silence. Passée si près du gouffre, cette chronique peut donc reprendre son cours normal.

Si le message d'Olga demeure un mystère, celui de DUBILLARD, placé entre les mains d'ÉRIC VIGNER, s'avère tout aussi drolatique que passionnant. Evitant l'habituel travers de faire de cette écriture une compilation de sketchs de cabaret consacrés au ratage, VIGNER, en habitué de DUBILLARD, l'éclaire d'une lecture où chaque phrase fait sens. Une très moderne poésie qui se tisse, avec pudeur, d'un humour ravageur pour démêler les ficelles de la politique, jouer aux travaux pratiques avec la psychanalyse et s'attacher à définir l'artiste contemporain comme une icône méprisée par la commande publique.

Entre une mère ultrapossessive, une femme fantôme et un fils désespérant, Félix croule sous les honneurs. S'ouvrant sur une interview d'anthologie en forme de caricature de l'artiste, la farce trouve son argument dans une commande de l'État confiée à notre grand homme. Le voici en charge de construire la fontaine de Médicis du Jardin du Luxembourg — qui existe déjà. Au final, Félix choisit de résister, se retrouve transformé en gargouille crachant de l'eau par petits jets au milieu d'un lointain terrain vague.

Dénonçant une politique culturelle qui, au vu des réactions hilares du public, ressemble comme deux gouttes d'eau à celle d'aujourd'hui, la pièce, écrite en 1972, se révèle prémonitoire. On n'est pas près d'oublier la prestation jubilatoire de Jean-Damien Barbin en acteur à tout faire, pas plus que celle de l'extraordinaire Micha Lescot, inventant pour l'artiste l'incroyable dégaine d'un homme- caoutchouc. Dire par le rire est la meilleure façon de toucher au but. À cet exercice, ÉRIC VIGNER et sa troupe font assaut d'excellence.