Ouest France
2 octobre 1999 · BENOÎT LE BRETON
MOLIÈRE en clown austère et ambigu
VIGNER réhabilite un Arnolphe pathétique dans L'école des femmes
ÉRIC VIGNER met actuellement en scène L'école des femmes à Paris, dans le cadre prestigieux de la Comédie-Française (Ouest-France de mecredi). Le patron du théâtre de Lorient délaisse le ton de la farce. Sa lecture de MOLIÈRE met en lumière un auteur plus austère, plus ambigu. Moins drôle, certainement. Mais, néanmoins, profondément humain...
Le patron du CDDB ne verra jamais MOLIÈRE débouler, avec son nez rouge, dans l'arène d'un cirque. Il l'inviterait plutôt à s'allonger sur le divan. Fidèle à sa méthode analytique, le docteur VIGNER ne s'arrête pas aux premiers symptômes. Mais veut aller au-delà des gros sabots de la satire. Prenez Arnolphe, le personnage central de L'école des femmes. A l'entendre prôner la toute puissance de l'homme sur la femme, réduite au rôle de nunuche soumise, on en ferait bien le digne ancêtre du plus extrémiste des talibans.
Cet homme a, en fait, été touché par l'amour, affirme ÉRIC VIGNER. En recueillant Agnès, âgée de 4 ans, il veut déjà en faire sa femme. Il l'élève à l'écart du monde. Et lui impose le sien en pensant, naïvement, qu'elle y restera. Bien entendu, 13 ans plus tard, la candide Agnès est séduite par le bel Horace. "Arnolphe se prend pour Dieu, pour le créateur de cette femme. Il vit l'amour comme un absolu. Loin d'être rétrograde, son monde repose, au contraire, sur des valeurs humanistes, particulièrement progressistes pour l'époque."
Dans L'école des femmes, version VIGNER, Arnolphe n'a donc plus rien du vieillard un brin vicelard. Et surtout ridicule à force d'être dépassé par les événements. Magnifiquement campé par Bruno Raffaelli, sociétaire de la Comédie-Française, il devient, au contraire, touchant, pathétique. À tel point qu'on a envie de le plaindre, de le consoler, même au plus fort de ses diatribes misogynes.
Mise en scène verticale
VIGNER considère L'école des femmes comme une œuvre charnière, au même titre que Marion de Lorme de Victor Hugo. En passant de l'une à l'autre, le metteur en scène a, d'ailleurs, mis du Marion dans son Agnès : le phrasé pointu, un peu précieux et à bout de souffle est, en effet, le même.
En poupée danseuse de boîte à musique, à l'air naïf et éthéré, cette Agnès-là énerve parfois. Tout comme les longues tirades en alexandrins de MOLIÈRE , restituées sans artifice par VIGNER, finissent par être indigestes. Cette rigueur, qui limite forcément les éclats de rire, n'est pourtant jamais rasoir.
On se laisse prendre au jeu brillantissime des comédiens du Français et à la mise en scène sobre et subtile d'ÉRIC VIGNER. Dieu sait pourtant si le décor est chargé. D'une rare élégance aussi. L'incroyable amoncellement de lames de bois blanc est, en effet, superbement agencé. VIGNER joue de cette étonnante maison-labyrinthe, de ses étages et demi-étages. Sa mise en scène devient verticale. Il se fait peintre quand, décalant ses comédiens du haut en bas, il brosse de véritables tableaux de maître, colorés par de délicats jeux d'ombres et de lumières.
Compte tenu d'un premier accueil du public, plutôt favorable, VIGNER semble avoir, d'ores et déjà, remporté son challenge parisien. Sauf à se déplacer à la capitale, les Lorientais devront attendre les le, 2 et 3 juin pour découvrir cette nouvelle école des femmes au CDDB...