Le Figaro · 29 octobre 1991 · LA MAISON D'OS

Le Figaro · 29 octobre 1991 · LA MAISON D'OS
Un spectacle "manifeste d'une volonté artistique, esthétique et morale".
Presse nationale
Critique
Jean-Luc Eyguesier
29 Oct 1991
Le Figaro
Langue: Français
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Le Figaro

29 octobre 1991 · Jean-Luc Eyguesier

LA MAISON D'OS fait décoller le socle de l'Arche

Avec à la clé une troupe de qualité et l'art d'investir un lieu inédit, la première mise en scène d'éric Vigner ressemble bien à un coup de maître.

Drôle de ballet qui se joue tous les soirs dans le socle de l'Arche. Une sarabande plutôt. C'est La Maison d'os, une pièce de Roland Dubillard mise en scène par éric Vigner et interprétée par sa compagnie Suzanne M.

"Le sujet de La Maison d'os est l'agonie d'un vieillard très riche, sans famille, entouré d'une quarantaine de domestiques pour qui la question n'est pas là", écrivait l'auteur en 1962 à la création de la pièce.

Roland Dubillard est un dramaturge de ce que l'on a appelle le "théâtre de l'absurde". Dans ses pièces, l'intrigue est absente et il n'y a pas de trame dramatique réelle. La Maison d'os se présente comme une succession de saynètes, de rencontres de domestiques en folie. On reconnaît çà et là un sommelier, un cuisinier, des femmes de chambre, mais, pour la plupart, ils demeurent indifférenciés.

Pas moins de vingt et un acteurs participent à cette ronde infernale. Il y a aussi le maître, en robe de chambre et col de fourrure, immobilisé par une minerve. Seul élément un peu stable dans cet univers où tout s'écroule, roi dérisoire qui donne des ordres que personne n'écoute, mais s'écoute parler de sa mère sur magnétophone.

Roland Dubillard a écrit là une réflexion lucide, désabusée et ricanante sur la vie et le destin de l'homme. Il serait vain de leur chercher un sens et la pièce pour l'exprimer s'adresse d'abord au sentir. à cela s'ajoute des correspondances troublantes entre la maison et le corps (La Maison d'os). La vieillesse, la sénescence frappe le maître avant tout dans sa chair. Aussi cette folie qui frappe les domestiques est-elle aussi, comme écrit Michaux auquel éric Vigner fait allusion : "Un dérèglement définitif de tout notre être en vain livré au regret."

Dans l'usine abandonnée où Vigner a créé la pièce, l'adéquation était totale entre le propos et son environnement. à la Grande Arche, il doit affronter l'austérité high-tech du béton. C'est sa seule concession. Pas de décor ni de scène, sinon un curieux rideau de bidons rouge sang. Le rapport est direct entre les comédiens et le lieu. Son exubérance consiste dans l'abondance des entrées possibles : du fond, des côtés, du sol ou de dessous les gradins, d'un ascenceur qui monte et descend.

Un mot s'impose : grouillement. Les comédiens interprètent superbement ce texte difficile. Comme il s'agit d'une première mise en scène, on ne peut que saluer la maîtrise du metteur en scène. La compagnie, qui a proclamé ce spectacle "manifeste d'une volonté artistique, esthétique et morale", offre donc un grand espoir.