Le Figaro · 8 octobre 1991 · LA MAISON D'OS

Le Figaro · 8 octobre 1991 · LA MAISON D'OS
ÉRIC VIGNER, metteur en scène surprenant.
Presse nationale
Avant-papier
Jean-Luc Eyguesier
08 Oct 1991
Le Figaro
Langue: Français
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Le Figaro

8 octobre 1991 · JEAN-LUC EYGUESIER

Utopie en sous-sol

éric Vigner, un jeune metteur en scène, répète actuellement à la Grande Arche La Maison d'os, de Roland Dubillard, dans le cadre du Festival d'automne.

Le cadre : un labyrinthe de salles aux planchers vernis et caissons de béton. Le décor : des centaines de bidons. éric Vigner monte ici, dans le socle de la Grande Arche, La Maison d'os, de Roland Dubillard. Les bidons sont rouge vif, empilés de manière à créer barricades et chemins sur 1 000 m2. Le Festival d'automne pour sa première intervention sur le quartier semble avoir choisi l'originalité créatrice. Cette pièce est une grande première à La Défense. D'abord parce que l'Arche accueille pour la première fois en son sein un spectacle vivant. Ensuite parce que c'est à une véritable appropriation des lieux que se livre éric Vigner, metteur en scène surprenant. Surprenant, car il est bien extraordinaire aujourd'hui à Paris de se faire connaître en une seule mise en scène. C'était pourtant le cas en janvier dernier. éric Vigner et sa compagnie Suzanne M. investissait une usine désaffectée d'Issy-les-Moulineaux et montait déjà La Maison d'os. Cette même pièce, il la reprend aujourd'hui, et tout devrait changer. En effet, le travail de Vigner se veut en rupture avec les conceptions théâtrales classiques. L'essentiel de sa recherche tourne autour de l'appropriation des lieux et de l'espace.

"Je travaille toujours à partir des espaces de la ville. L'usine était un de ces espaces, un lieu de mémoire. Ici, au contraire, on a un lieu sans mémoire. D'une certaine manière, c'est bien plus oppressant : on sent le poids de la Grande Arche. Il nous faut réussir à habiter cet endroit. C'est l'essentiel de notre travail : investir des lieux non théâtraux."

Apporter sa pierre à l'édifice

Cette problématique de l'espace se manifeste aussi à l'intérieur du lieu. Dans la version usine, les spectateurs se "promenaient" sur deux étages. éric Vigner ne veut pas dévoiler ce que sera la version Grande Arche, mais nul doute qu'il nous réserve des surprises. "Nous voulons faire quelque chose de convivial. Ce lieu doit devenir notre maison où nous recevons des gens, les spectateurs." Le sujet de la pièce n'est pas moins audacieux : l'agonie lente d'un riche vieillard, sans famille, mais entouré d'une cohorte de domestiques qui font la fête et se préoccupent fort peu du devenir de leur maître. "Le sujet n'est pas plus macabre que celui de plusieurs œuvres classiques. Il n'empêche pas La Maison d'os de s'orienter dans le sens de la vie, voire de la rigolade », précise Roland Dubillard.

"Nous sommes une vraie compagnie, tout le monde fait tout", précise encore éric Vigner, intarissable sur ses conceptions du théâtre. Un théâtre qu'il a pratiqué comme acteur depuis près de dix ans, depuis ses premiers pas au Conservatoire de Rennes. Il fallait cette foi, ou plutôt ces certitudes qui soulèvent les montagnes, pour réussir à monter cette Maison d'os sans aide, réunir 80 000 francs auprès de ses amis, mobiliser vingt-deux acteurs pour la pièce et pour la suite qui est déjà en préparation : Le Régiment de Sambre et Meuse. Dans les sous-sols de l'Arche, éric Vigner répète tous les après-midi sa pièce sur un homme abandonné mais libre, libre pour l'utopie. Le jeune metteur en scène veut croire à l'utopie. Il veut croire que le vide idéologique ne subsistera pas longtemps et qu'il peut peut-être apporter sa pierre à l'édifice. Il s'y emploie dans les fondements de ce monument de la fin du siècle. Travail de sape ou de construction?