Ouest France
11 octobre 2007 · Jérôme Gazeau
Les comédiens suisses débrayent à l'heure
La Suisse est connue pour sa précision horlogère. Les comédiens de la Manufacture de Lausanne donnent tout son mouvement à DÉBRAYAGE, joué jusqu'à samedi au Grand Théâtre.
Ils sont tous sortis en juin dernier de la Haute école de théâtre de Suisse romande. Par la grande porte. Quatre mois plus tard, ils se retrouvent sur le grand plateau du Grand Théâtre de Lorient. Et cette scène leur va bien, merci pour eux. Désormais professionnels, les quatorze comédiens embauchés par ÉRIC VIGNER pour DÉBRAYAGE donnent actuellement toute la mesure de ce qu'ils ont appris pendant leurs années d'études. La pièce écrite par RÉMI DE VOS se prête admirablement à l'exercice : ils sont quartorze pour trente-quatre rôles et chaque acteur endosse avec une aisance certaine plusieurs costumes et caractères.
Pas ou peu de décor dans la mise en scène. ÉRIC VIGNER a choisi le dépouillement quasi-total : pour le fond de scène, un écran de cinéma très allongé, modèle 16/9e XXL, qui passe imperceptiblement par toutes les couleurs de l'arc-en-ciel. Au sol, un réseau de carrés et de cercles blancs parfaitement dessinés, certains cercles s'emboîtant avec la même perfection dans des carrés : un modèle d'organisation qui ressemble à nos modèles économiques.
MARX et Dieu sont-ils morts ?
Car le propos de DÉBRAYAGE porte bien sur le monde du travail. RÉMI DE VOS, qui a fait un nombre insensé de petits métiers avant de devenir l'auteur de théâtre qu'il est aujourd'hui, sait visiblement de quoi il parle. Le texte est mordant, cruel, ironique, mais également détaché, poétique, parfois même philosophique. Et drôle surtout.
Dans cette mécanique huilée, les sketches s'emboîtent les uns dans les autres, apportant toujours un point de vue social différent : le cadre angoissé qui préfère être lèche-cul que licencié, le préposé à la restructuration d'entreprise qui vire les ouvriers sans haine mais sans état d'âme, les employés écartelés entre le désir de garder leur place, l'ennui provoqué par la vacuité du boulot et l'envie de dire tout haut ce qu'ils pensent bien bas. Il y a aussi les syndicalistes, paumés dans notre époque de capitalisme triomphant :
"À mon avis, on comprend mieux MARX quand on est licencié...", lâche l'un d'entre eux, avant d'évoquer la possibilité que Marx, comme Dieu, est peut-être tout à fait mort.
Sur la scène, les comédiens défilent dans des attitudes d'automates et des destins de pions sur l'échiquier de l'argent roi. Chez VIGNER, la musique a aussi son importance : Wagner et Mozart y trouvent leur place mais les bandes son de cartoons américains et de westerns spaghetti aussi. Comme si toute cette vie tournée autour du travail n'était qu'une vaste comédie. Toujours est-il que pour une poignée de dollars, d'euros ou de francs suisses, le public y trouve son compte.