Sud Ouest
27 février 1997
Comme l'oiseau sur la barre
Le palais de justice s'est révélé un lieu parfaitement adapté à l'évocation du procès Brancusi
éric Vigner, metteur en texte et en scène de Brancusi contre États-Unis, a eu un décor clés en mains avec la salle d'audience de la première chambre de la cour d'appel. Après le Palais des Papes d'Avignon et le Centre Georges-Pompidou, à Paris, le palais de justice de Pau s'est avéré un site fort pour ce spectacle organisé autour de la reconstitution d'un célèbre procès.
Dans "Sud-Ouest" de mardi, nous avons replacé dans son contexte cet événement né d'un télescopage entre une pièce intégrée à la saison 1996-1997 du Parvis, animé par Marc Bélit, et la volonté du Procureur général de l'époque, Michel Jacques, d'ouvrir les portes du palais de justice sur le monde extérieur, en marge de sa vocation initiale. Disons-le sans détours : l'idée était excellente. On a pu le vérifier mardi soir, dès la "générale", car les mots jaillissaient d'une manière presque naturelle, malgré la "théâtralité", dans ce lieu solennel qu'éric Vigner a su gérer à son profit pour faire évoluer juge, témoins et "plaideurs".
Objet ou œuvre d'art?
Le prétexte, c'est le procès intenté en 1926 par le sculpteur Constantin Brancusi aux douanes américaines qui avaient refusé d'appliquer un statut d'œuvre d'art à son "oiseau dans l'espace", taxé comme un vulgaire objet manufacturé.,Le fond du débat, c'est la notion d'œuvre d'art, sa définition autour de laquelle on tâtonne pour lui trouver les mots du droit. Cet aspect, le plus ambitieux, peut laisser sur leur faim même les spectateurs ayant un appétit d'oiseau. La montagne de grandes idées philosophiques n'aurait-elle pas accouché d'une taupinière puisque cette "procédure" figurative n'a servi à rien dans l'abstrait ? Le président, incapable de répondre à la question de fond, s'en tire en effet par une pirouette : il laisse entrer "l'oiseau" en franchise, au bénéfice du doute, en motivant sa décision par le respect "des nouvelles idées et des écoles qui les représentent".
En revanche, il faut rendre hommage sans réserve, en dehors d'éric Vigner et de son équipe technique, aux neuf comédiens et comédiennes en redingote gris fer, aux cheveux sculptés en relief et aux lunettes rouges, évoluant pieds nus, s'exprimant avec des intonations affectées en symbiose avec le caractère souvent irréel, voire surréaliste, des dialogues. Excellents, bien dirigés, ils font passer joliment la rampe (ici, la barre) à une entreprise difficile et ingrate certes, mais authentiquement artistique, sur laquelle il serait injuste de porter un jugement négatif.