Ouest France
17 octobre 1996
VIGNER fait d'un procès son théâtre
Une création subtile pour une réflexion sur la question de l'art
En cette deuxième rentrée au Théâtre de Lorient, éric VIGNER s'interroge sur l'art, par le biais du procès Brancusi contre les états-Unis. La question fait mouche. Elle tient suffisamment en haleine pour que le pari du metteur en scène d'adapter ainsi les minutes d'un procès soit réussi.
Cela commence bizarrement, comme un défilé de mode. Une femme très maquillée, cheveux dressés sur la tête, pieds nus, en queue de pie, passe presque amusée dans le couloir formé par les deux rangs de spectateurs. Puis, sept autres personnages, même "look", entrent en scène. Magistrats et avocats entament le procès BRANCUSI. Nous sommes en octobre 1927. Un an auparavant, des sculptures de l'artiste ont été saisies à la douane et taxées comme des marchandises ordinaires. Le statut d'oeuvre d'art ne leur est pas reconnu.
Belle esthétique
En donnant cette esthétique (très belle) à sa mise en scène, VIGNER a voulu transposer ce procès dans le monde des oiseaux, l'objet du délit étant une sculpture intitulée "L'oiseau dans l'espace". Il réussit à donner un mouvement, éthéré, à sa scénographie, par les attitudes des acteurs, réellement très bons. Du coup, malgré quelques artifices dans les transitions, pas franchement nécessaires, éric VIGNER gagne un pari pas évident: nous faire suivre, à la lettre et sans nous ennuyer, une grande partie des minutes de ce procès.
Mais, surtout, il nous entraîne à réfléchir sur la question de l'art, à quasiment nous transformer (le public est sur scène) en jurés de ce procès qui, au fil des témoignages nous devient de plus en plus absurde par son non-sens. La question est posée : qu'est-ce qu'une oeuvre d'art? Une oeuvre fabriquée par un artiste, qu'on aime, qu'on trouve belle, qui procure de l'émotion et... qui ne sert à rien... Bref, "L'oiseau" de BRANCUSI n'a pas besoin de ressembler à un oiseau pour être une oeuvre d'art, n'en déplaise aux esprits étroits qui aimeraient que le métier d'artiste ne se délivre que sur diplôme.
D'une mise en accusation, Vigner fait incontestablement du théâtre, instaurant un suspens, dirigeant un bon jeu d'acteurs. Et le bougre est habile. Avec ce sujet, il nous piège. Si vous n'aimez pas, c'est votre point de vue. Ne dîtes pas pour autant que ce n'est pas du théâtre (une oeuvre d'art).
Les arguments sont donnés pour vous prouver le contraire...