Dernières Nouvelles d'Alsace · 8 décembre 1996 · BRANCUSI

Dernières Nouvelles d'Alsace · 8 décembre 1996 · BRANCUSI
La troupe de VIGNER, en défense joliment entêtée d'un fragile projet théâtral
Presse régionale
Critique
Antoine Wicker
08 Déc 1996
Dernières Nouvelles d'Alsace
Langue: Français
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Dernières nouvelles d'Alsace

8 décembre 1996 · Antoine Wicker

La troupe de Vigner, en défense joliment entêtée d'un fragile projet théâtral

Débat hier après-midi au tribunal de Strasbourg, et spectacle au TNS: ÉRIC VIGNER ressuscite l'historique procès qui opposa en 1927 les états-Unis au sculpteur BRANCUSI. De la nature d'une oeuvre d'art.

En octobre 1926, Marcel Duchamp arrive à New-York, où il accompagne une cargaison d'une vingtaine d'oeuvres de son ami le sculpteur Constantin BRANCUSI, qui doivent être exposées dans une galerie de la ville. Parmi ces oeuvres, une fine pièce de bronze poli - Oiseau dans l'espace - acquise par le peintre et photographe new-yorkais Edouard Steichen. Et pour cette pièce, puisqu'elle doit rester aux états-Unis, les douaniers réclament une taxe: il ne s'agit pas, pour eux, d'une oeuvre d'art, mais d'un objet utilitaire ou manufacturé. Un vulgaire morceau de métal, trop bien poli pour avoir été réalisé à la main par un sculpteur, et d'ailleurs beaucoup trop abstrait - cet Oiseau-là ne saurait être un oiseau... - pour être honnête. Duchamp, scandalisé mais peut-être bien ravi de l'aubaine, mobilise les milieux de l'art. Et un an plus tard s'ouvre à New-York un procès de légende, qui durera près d'un an encore, et dont les minutes ont été publiées il y a quelques mois en France. Le document certes est daté à maints égards (et dont nul d'ailleurs ne prétend qu'il constitue un moment absolument essentiel de l'histoire de l'art), mais il est exemplaire, et ÉRIC VIGNER s'en est saisi pour le porter à la scène, d'abord, du dernier Festival d'Avignon - où BRANCUSI contre états-Unis, un procès historique a manqué, dans la salle du Conclave du Palais des Papes, son rendez- vous avec publics et critiques festivaliers, le jour de la première représentation en tout cas.

De très beaux comédiens
Vigner et sa fine équipe de très beaux comédiens aux pieds nus s'entêtèrent, et défendent aujourd'hui en l'état, au fil d'une assez longue tournée, un travail marqué au coin toujours d'une extrême fragilité, mais joliment resaisi : d'un cocasse et grotesque monument artistico-judiciaire qui ne manqua pas - et ce travail à sa façon le signale - de générer aussi un énorme ennui, mais qui n'en pose pas moins toute une série d'exemplaires questions sur la nature de l'oeuvre d'art contemporaine, et sur le monde-même de l'art. ÉRIC VIGNER tire un bref et pittoresque spectacle de plutôt savoureux théâtre. Y sont mis en présence juges et avocats, avec une significative galerie de témoins - artistes, critiques d'art, directeurs de musées plus vrais que nature, croqués dans une écriture scénographique certes risquée, un doigt imprudente, mais fort inventive, burlesque et moderne. D'un bout à l'autre et de toutes les façons, en mille et un traits parfois extrêmement réussis, elle file drôlement la métaphore de l'oiseau et de son vol dans l'espace.
Gazouillis et bruissements d'ailes nichés avec des voix d'hôtesses de l'air dans la bande son du spectacle, éclairs et coups de tonnerre stupéfiés par le cours des débats, poses très joliment travaillées d'acteurs un peu irréels, saisis entre époque romantique et avant-garde futuriste...