Le Télégramme
7 octobre 2004
Le pays du matin calme invité d'honneur de Lorient
Jusqu'au 17 octobre, la Corée est l'invitée d'honneur de Lorient. C'est une heureuse initiative du Centre dramatique de Bretagne (CDDB), qui entretient des relations privilégiées avec les artistes de Séoul. Tous les soirs de la semaine prochaine, la troupe du Théâtre national de Corée jouera le Bourgeois gentilhomme, au Grand théâtre, en coréen (sous-titré). Les lieux publics et les commerces ont commencé à se mettre aux couleurs du pays du matin calme. Ils accueillent des expositions, différents ateliers et des conférences. Quant au Cinéville, il organise un cycle de cinéma coréen en version originale. L'occasion pour Lorient de redécouvrir L'Orient.
L'Arrivage d'Eunji Peignard-Kim
Elle est arrivée à Lorient, en 1991, pour y poursuivre ses études d'art. Depuis, elle n'est jamais repartie. Aujourd'hui, EUNJI PEIGNARD-KIM, artiste coréenne, enseigne à l'École supérieure d'art. À son arrivée, son regard s'est d'abord posé sur l'habitat européen pour glisser peu à peu sur les questionnements relatifs à l'alimentation. L'image de l'animal s'est alors imposée dans sa production.
En juillet dernier, elle rencontre ERIC VIGNER, metteur en scène du BOURGEOIS GENTILHOMME. Une rencontre qui aboutit à la réalisation du décor au sol pour les représentations lorientaises de la pièce.
Pour prolonger cette collaboration, le CDDB lui a proposé de présenter ses oeuvres. Elle a alors installé son exposition, ARRIVAGE, dans les ateliers Leurenn, au Péristyle. Un lieu symbolique, puisque c'est d'ici que sont partis les premiers bateaux pour l'Orient. À leur retour, dans leurs cargaisons, quelques animaux exotiques, parfois. "Le travail que je présente ici est donc une réflexion sur les rapports qu'ont les différentes sociétés aux animaux".
Par le jeu d'ombres et de lumières, elle évoque le clonage, le souci du muséographe "qui cherche à recréer une réalité tout à la fois pédagogique et dérisoire," ou celle du taxidermiste qui s'attache à rendre vivant ou à fixer dans le temps un animal. Un regard au travers duquel l'artiste reconnaît "en apprendre beaucoup sur l'histoire des hommes".
Quand la Corée s'envole
La pratique du cerf-volant est millénaire. La première trace historique remonte à 647. Le général KIM YU-SHIN, grand stratège militaire, l'utilise comme moyen de communication avec ses troupes. Pendant la Première Guerre mondiale, les soldats ont à nouveau recours au cerf-volant comme sémaphore pour renseigner sur les positions ennemies. Aujourd'hui, finies les applications guerrières, le cerf-volant est un jeu qui, en Asie et en Corée en particulier, est très populaire. Ludique, certes, mais régi par des règles très strictes.
Renouant avec ses origines, cette pratique ne se conçoit que comme un combat. Le but du jeu est simple : couper le fil de l'autre cerf-volant. Les cerfs-volants coréens traditionnels sont équipés d'un fil de soie enduit de poudre de diamant synthétique. En Inde, on utilise du fil de coton enduit de fibre de verre. Quant au corps même, la tradition veut qu'il soit de forme rectangulaire avec un rond au milieu. L'armature est en bambou avec du papier fait main à partir de feuilles de mûriers. Et le tout est peint à la main, cela va sans dire.
Certains sont de toute beauté, comme ceux à tête de dragon que l'on construit pour la naissance d'un enfant. Là encore, le but est de couper le fil pour que le cerf-volant monte au ciel. Tout un symbole. Mais quelle que soit l'occasion (la tradition voulait que l'on fasse voler les cerfs-volants à la première lune après le solstice d'hiver), cette pratique est bien plus qu'un simple jeu. Elle peut même prendre un caractère mystique lorsqu'on y voit un lien entre la terre et le ciel. En compétition, les joutes se déroulent à 300 mètres d'altitude avec des cerfs-volants ultras rapides, pilotés avec un seul fil. Et à ce petit jeu, les Coréens ont terminé seconds, derrière l'Inde, le mois dernier, à l'occasion de la coupe du monde qui s'est déroulée à Dieppe.
Jusqu'au 16 octobre, au Grand théâtre, LUDOVIC PETIT, l'un des rares créateurs en France de cerfs-volants coréens traditionnels, présente une centaine de pièces, acquises en Corée. Le samedi 16, le cervoliste proposera un atelier de création ouvert à partir de 12 ans. Chacun pourra fabriquer son cerf-volant avant de s'initier aux techniques de combats en vol.
Compagnie des Indes: l'Asie s'invite dans notre quotidien
Sollicité par le CDDB, l'historien Gérard Le BouËdec ne s'est pas fait prier pour organiser deux conférences sur la Compagnie des Indes. Trois de ses étudiantes planchent justement sur les changements introduits par les voyages en Asie dans les mentalités et le comportement des Lorientais.
"Le rapport à l'espace et au temps a été complètement modifié dès le début de la présence française en Asie, au XVIIe siècle. Le Lorientais se retrouve avec un atlas mondial dans la tête. On constate un éclatement des représentations mentales", explique Gérard Le Bouëdec. De même, jusqu'alors, on avait un rapport au temps qui était celui des saisons. "Avec les voyages jusqu'en Asie, on voit s'insinuer la notion de temps qui passe, un temps linéaire, rythmé par les naufrages, les décès, etc.".
Le quotidien s'en trouve aussi modifié. "On constate un changement des comportements et une intrusion de l'Asie dans l'intimité des foyers. Les inventaires après décès nous en apportent la preuve : la présence des porcelaines témoigne de la consommation de thé et de café qui n'était pas réservée aux élites". L'historien et ses étudiantes évoqueront aussi le nouveau rapport au textile, avec les "indiennes", ces beaux cotons imprimés. Les hommes d'équipage avaient tous droit à une "pacotille" - des achats personnels essentiellement de textiles parfois en quantité importante - qu'ils revendaient à leur retour. Un commerce plus ou moins officiel qui a "révolutionné" les comportements des consommateurs locaux.