Ouest France
19 octobre 2001
Au rendez-vous de l'amour manqué
La BÊte dans la jungle a connu ses premiers spectateurs, jeudi soir, au Centre dramatique de Bretagne.
Il y a du "mourir d'aimer" et du "vivre de ne pas aimer" dans cette histoire écrite par Henry James au tout début du XXe siècle. Elle, Catherine Bartram, a tout fait pour apporter de l'amour à l'homme qu'elle a croisé un jour en Italie. Lui, John Marcher, traverse la vie à la recherche oisive d'un destin qui lui serait promis. Destin ou catastrophe, le spectateur ne le saura qu'à la fin.
En reprenant le canevas de la pièce de James Lord adaptée deux fois en français par Marguerite Duras, en 1964 puis en 1981, Éric Vigner a respecté tous les éléments du "suspens" qui est, globalement, ce que la vie nous réserve, selon ce que l'on en fait. Chez John Marcher, c'est le royaume des faux-semblants, de l'apparence des choses. Chez Catherine Bertram, tout est profondeur et sentiment fort. Il ne se rappelle rien, elle est la mémoire. Il questionne, elle répond. Mais il ne l'entend guère, tourné vers l'obscur objet de son désir qui n'est que lui-même.
Metteur en scène, Éric Vigner signe aussi la scénographie de la pièce. Doté d'une longue culture de plasticien, il peut se le permettre et le fait bien. L'articulation des six tableaux (beaucoup plus si l'on compte ceux accrochés aux cimaises du château de Weatherend) est savamment orchestrée, passant des couleurs vives des premières rencontres aux ombres de la fin.
Comme les personnages, le décor (superbe) se dénude peu à peu, au fur et à mesure du temps qui passe et du secret qui n'en finit pas de se découvrir. Tout au long de la pièce, la bête est là, partout. On ne la voit pas, mais on la pressent et on l'entend, surtout. Bruitages et musiques sont d'ailleurs fortement imbriqués dans la trame scénique.
Humour et gravité
Jutta Johanna Weiss et Jean-Damien Barbin sont tous deux habités par le texte. Elle incarne avec grâce cette femme porteuse de vérité, prête à tout subir par amour. Et puis, quelle voix ! Lui a à la fois l'élégance de l'amnésique, la fragilité du narcissique et la fatuité de celui qui ne regarde jamais les choses en face, de son oeil rond et étonné d'oiseau frivole. Tous deux (et le metteur en scène) s'autorisent quelques fantaisies, un pas de danse hors du temps, une course "cours après moi que je t'attrape" et une descente en cave à faire grincer tous les bouchons du "beau" monde. Ces procédés apportent une touche d'humour dans une histoire plutôt grave et déroulée à pas mesurés. Il faut savoir guetter la bête qui est en nous.