Le Télégramme
JEAN-LOUIS LE GOFF · 21 novembre 2001
La bête s'en est allée
LA BÊTE DANS LA JUNGLE s'en est allée après avoir un mois durant rugi dans le paysage théâtral lorientais. Un passage qui laissera dans les mémoires des quelque 2.500 veinards qui l'ont côtoyée la marque de son édifiante beauté.
Éric Vigner a signé la première création de la saison du CDDB. Un pari hardi sur le texte que JAMES Lord avait écrit pour la scène d'après la nouvelle d'Henry James, plus tard adapté pour le français par Marguerite DURAS.
La bête dans la jungle fera date. Le spectacle recèle en effet bien des charmes, expression multiple d'un Vigner qui ne cesse d'affiner son talent en puisant aux sources diverses des exigences esthétiques de l'œil, de l'oreille et du cœur.
Musique et son, posés en un décor sans cesse en mouvement, se sont mêlés dans une immersion totale au sein de l'univers de la peinture délicate du portraitiste Antoine Van Dycke omniprésente dans la scénographie. Un écrin pour Jean-Damien Barbin, alias John, et Jutta-Johanna Weiss, devenue Catherine, d'abord corps posés en une nonchalance affectée d'ampleur.
Jean-Damien Barbin traverse l'existence de John dans le questionnement sans réponse d'un personnage qui passe à côté de sa vie parce qu'il n'a pas su faire le choix de l'amour assumé. Une problématique qui avait poussé l'auteur, Henry James, à examiner les évènements sous tous les angles possibles. Quête sans fin ni réponse qui déroute les chemins de la mémoire et gomme le passé. C'est là toute la question sans cesse renouvelée : être ou créer ?
Jutta Johanna Weiss, la majestueuse, fascinante et cependant simple Catherine, porte toute la tradition de la femme de l'Occident. Tangible, incarnée et sensible, Catherine offre son amour sans jamais pouvoir le consommer. Une approche centrée sur le don plutôt que sur la possession. Une histoire d'époux impossibles.
Une comète
La bête dans la jungle façon Vigner a offert de se laisser porter au cœur d'un voyage onirique familier parce qu'abstrait. On y perd vite le pied habituellement posé dans le quotidien, embarqué dans la féminité à la Garbo de Jutta, sensualité divine. Chaque geste se drape de la force et de la beauté de la vie quand elle se veut partage.
La bête est allée chercher au fond de ses admirateurs, dont une importante proportion de jeune public tout au long de ce mois, la dimension de l'émotion qui déferle sans laisser sa chance à la pudeur. Éric Vigner a donné naissance à une comète. Elle vient de quitter le ciel de Lorient avec derrière elle une poussière d'étoiles qui va laisser scintiller le cœur des nuits.