La Terrasse
Septembre 2004 · A. Santi
La Bête dans la Jungle
Jacques Lassalle orchestre le duo né sous la plume d'Henry James, adapté par Lord puis repris en français par Duras, avec Fanny Ardant et Gérard Depardieu.
En 1981 Delphine Seyrig et Sami Frey, avec Alfredo Arias. Puis Jutta Johanna Weiss et Jean-Damien Barbin, avec Éric Vigner. Aujourd'hui deux stars de la scène se confrontent, pour nouer sur un plateau de théâtre le destin tragique d'un homme et d'une femme qui se parlent d'emblée sur un registre intime et sincère, évoquent l'amour, mais demeurent chacun enfermé dans une solitude inexorable et stérile. May Bertram et John Marcher sont les personnages imaginés par Henry James dans sa nouvelle, adaptée pour la scène par James Lord (1962) puis en français par Marguerite Duras (1981). La pièce est une occasion manquée de vivre ensemble et de vivre mieux... Parce que lui est hanté par la certitude que quelque chose de terrible va lui arriver, il demeure en attente, prisonnier d'un sentiment puissant né de son imaginaire. Cet homme à la merci de l'idée aiguë d'un désastre à venir confie son secret à son amie. Elle est comme « sa deuxième conscience selon les mots d'Henry James. Le plus intéressant n'est bien sûr pas dans l'histoire d'amour empêchée mais bien dans les jeux qui se trament au coeur de chacun, dans ce dialogue serré qui se déroule comme une vaine conquête de lucidité, où par fulgurances la conscience se dénude de ses pressentiments funestes sans pour autant oser aller de l'avant. Ce sentiment attentiste et désespéré de l'homme a une qualité prédatrice, comme un fauve qui vous terrasse, comme une maladie de la mort qui fait son chemin. Duras comme James savent en transcrire les méandres. Un art de l'esquisse qui est une belle matière pour le metteur en scène, et pour deux formidables acteurs.