L'avant-Scène Théâtre · 1 mars 1996 · L'ILLUSION COMIQUE

L'avant-Scène Théâtre · 1 mars 1996 · L'ILLUSION COMIQUE
Pour ÉRIC VIGNER, cette pièce respecte parfaitement la règle des trois unités : lieu, temps, action sont ceux du théâtre
Revue spécialisée
Chantal Boiron
01 Mar 1996
L'Avant-Scène Théâtre
Langue: Français
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L'Avant-Scène

1 mars 1996 · Chantal boiron

L'ILLUSION COMIQUE

Pour sa première création au Centre dramatique de Bretagne, dont il est le nouveau directeur, ÉRIC VIGNER a choisi L'ILLUSION COMIQUE de CORNEILLE, une pièce qui fait l'apologie du théâtre.

Tout, dans la mise en scène, parle du théâtre en train de se faire, en train de naître. Le plateau est nu comme pour des répétitions. Les cintres, les projecteurs font partie du décor. C'est le théâtre tout entier qui se donne à voir. Au milieu de la scène, une fosse d'orchestre où jouent quatre violonistes. Au fond, une large ouverture, qui pourrait être l'entrée de la grotte du magicien Alcandre. Disposés en enfilade, des panneaux de plexiglas reflètent la lumière vacillante des bougies et multiplient à l'infini les jeux de miroir et de transparence. Ils permettent à Pridamant (Guy Parigot), le père de Clindor, d'être spectateur, voyeur, sans jamais être vu. Et ce sont les écrans magiques où Alcandre (Eric Guérin) projette ses mirages.

Un lustre de cristaux, quelques vieilles chaises, des cubes de polyéthylène, c'est tout. Peu nombreux, les signes prennent une importance emblématique très forte. Ce sont les ondulations mystérieuses d'un rideau de velours rouge. C'est le bonnet (rouge, lui aussi) de Clindor (Eric Petitjean) qui passe des mains de Lyse (Dominique Charpentier) à celles d'Isabelle (Cécile Garcia-Fogel), symbole des rivalités et des stratégies amoureuses. Un bruitage subtil suffit à créer une ambiance : son de cloches, bruit de pas qui s'éloignent...

Sobre, épurée, la mise en scène fait la part belle aux acteurs qui s'attachent à rendre claire la langue de CORNEILLE, à nous faire entendre la musicalité des alexandrins.

Tout au long de la représentation, on perçoit une note de mélancolie. Même Matamore (Grégoire Oestermann), pris au piège de ses propres fictions, et spectateur de son propre malheur, n'est plus tout à fait le fanfaron de la commedia dell'arte.

CORNEILLE disait de sa pièce qu'elle était "un monstre étrange". Ce spectacle raffiné, d'une grande élégance, a aussi une dimension fantastique.

Pour ÉRIC VIGNER, L'ILLUSION COMIQUE, avec sa construction romanesque où s'entremêlent plusieurs récits, ses retours en arrière, ses aventures rocambolesques, est une pièce moderne, d'une étonnante liberté qui, néanmoins, respecte parfaitement la règle des trois unités : lieu, temps, action sont ceux du théâtre. "Il y a une sorte de magie à laquelle il ne faut pas toucher. C'est une pièce de l'ombre et de la lumière que trop de lumière ou trop d'ombre finirait par détruire". Depuis LA Pluie d'été de Marguerite DURAS. on sait combien ce jeune metteur en scène est à l'aise avec des textes hybrides, "sur la marge", qui mélangent genres et styles.

Installés depuis six mois à Lorient, ÉRIC VIGNER et son équipe ont entrepris de faire des travaux, qu'ils jugeaient indispensables, avant d'ouvrir leur théâtre. La salle, le plateau ont été réaménagés. On a construit des dessous de scène avec un plancher modulable, des cintres. Les fauteuils ont été refaits. L'accueil du public a lui aussi été repensé. Dans le bar et dans le hall d'entrée, on a installé un vieux plancher du XVIIe siècle. La décoration, un peu bricolée, reste simple et chaude. Financés par l'État et la ville, ces travaux ont coûtés 1,2 M.F. Le Centre dramatique reçoit 6 MF de subventions, auxquelles s'ajoutent les recettes de la billetterie et des tournées. Dans une ville où le taux de chômage atteint 15%, la culture représente un enjeu essentiel.

Pour ÉRIC VIGNER, le théâtre doit "fédérer" toutes les énergies, en élaborant des projets avec l'École de musique, l'École des Beaux-Arts, les classes A3... Le théâtre doit aussi s'inscrire dans la région en privilégiant les échanges à travers la Bretagne. Enfin, ÉRIC VIGNER entend tenir compte du passé de Lorient, tout en ruptures (port prospère à l'époque de la Compagnie des Indes, bombardé en 1945, puis entièrement reconstruit) qui en fait une ville très attachante : "Toute une mémoire a été enfouie. C'est un peu comme à Pompeï. Dès lors, tout est possible."

C'est pourquoi il veut faire de ce lieu une sorte de laboratoire, ouvert à la jeune création. Cette saison, Rémi de Vos (33 ans) mettra en scène sa première pièce, Débrayage, une comédie sur le monde du travail. Ce sera aussi la première mise en scène d'Irina Dalle sur un texte qu'elle a écrit avec la complicité de Martine Thinières, Soir de fête. Dominique Frot, à qui on a donné carte blanche, travaillera sur l'oeuvre de Louis-René Des Forêts. Des lectures seront organisées autour de grands écrivains bretons : François-Marie Luzel. Pierre Jakez Hélias.

Mais, pour ÉRIC VIGNER, il s'agit d'aller plus loin encore. Il parle de réinventer des modes de productions grâce à la présence permanente de trois ou quatre comédiens qui animeraient des ateliers, prendraient part aux projets artistiques. Souhaitons que cela ne reste pas à l'état de vieux pieux et qu'il aille jusqu'au bout de ses rêves...