Le Figaro · 6 mai 1995 · BAJAZET

Le Figaro · 6 mai 1995 · BAJAZET
Éric Vigner : la volupté de l'alexandrin
Presse nationale
Avant-papier
Marion Thébaud
06 Mai 1995
Le Figaro
Langue: Français
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Le Figaro

6 mai 1995 · Marlon THÉBAUD

Éric vigner, la volupté de l'alexandrin

Il met en scène bajazet, de racine, avec la troupe de la Comédie-Française, en refusant toute analyse psychologique ou politique de la pièce.

Après le triomphe de Bérénice, Racine change d'inspiration avec Bajazet. Pierre Brisson, dans Les Deux Visages de Racine, commente sans ambages : "Après Bérénice, ce bain de larmes et cette cure d'élégies, Racine éprouve le besoin de vérifier ses muscles. Il écrit Bajazet, la plus violente et la plus charnelle de ses tragédies."

Un jugement très nuancé par Éric Vigner qui monte la pièce. "Si Bérénice est la tragédie du "hélas", Bajazet est sûrement celle du "enfin". Quand ça commence, c'est déjà fini."

La pièce se déroule à Byzance, capitale de l'Empire ottoman, dans le sérail du sultan Amurat. Sa favorite, Roxane (Martine Chevallier), s toute autorité. Elle a droit de via et de mort sur le sérail. Prisonnier de son frère Amurat, Bajazet (Éric Ruf) est entre les mains de la favorite. En l'absence du sultan, son grand vizir Acomat (Jean Dautremay) trame un complot. Il souhaite se défaire de l'autorité d'Amurat et favorise le penchant de Roxane pour Bajazet, qu'Il rêve de voir au pouvoir. Mals la princesse Atailde (Isabelle Gardien) aime Bajazet en secret. Un amour réciproque... Que fera Bajazet ? Plaire à Roxane ou étre fidèle à son amour pour Atalide jusqu'à la mort ? Julien Gracq, préfaçant Bajazet, écrivait : "C'est la tragédie de la mise à mort, la tragédie du cadavre derrière la porte."

Éric VIgner est catégorique : "Je n'al privilégié aucune analyse, ni psychanalytique, ni politique, encore moins psychologique. Je n'al pas tenté de réduire la distance créée entre l'art tragique et nous. Roland Barthes disait justement que c'est par son éloignement que le tragédie nous touche. Je me suis tenu devant la tragédie comme Champollion devant les hiéroglyphes. Comment faut-il jouer cette langue étrangère ? En louant çe qui est écrit. Rien de plus. Tout est dit dans un vers de Racine. J'al donné un conseil aux Interprètes : rappelez-vous que chez Racine le cœur est chaud mais la bouche est froide."

Dans un décor de métal, sombre, menaçant, qui ressemble à une sculpture de Richard Serra, Éric Vigner s'attache à montrer l'opacité Inquiétante du sérail, lieu d'ombre et de silence.

"C'est le Racine poète qui m'intéresse. Je n'essaie pas de répondre à la question : Pourquoi Racine a-t-il écrit Bajazet ? mals plutôt : Comment ? Une atmosphère poétique très étrange plane sur la pièce comme si une présence obscure menaçait le sérail. C'est un univers fantasmatique dans lequel chaque personnage projette ses amours."

Éric Vigner persiste et signe fallait s'intéresser à Bajazet comme poème dramatique, et dans ce poème dramatique ne privilégier qu'une chose et une chose seulement : l'alexandrin. "Rien d'oriental dans le décor et les costumes : à chaque fois qu'un metteur en scène s'est attaché à la représentation du boudoir oriental, façon Hollywood, li s'est trompé." Seule touche exotique, la robe de Roxane, "rouge feu. C'est Gilda".

Éric Vigner retrouvera cet été sa Bretagne natale, à Lorient, où II dirige le centre dramatique régional. Après trois mots de travaux, il ouvrira en janvier avec L'Illusion comique, de Corneille. Éric Vigner souhaite aussi organiser pour l'été 1996 un festival au cœur du pays breton, aux forges d'Hennebont, à Lorient, où il montera sa version d'Hiroshima mon amour, au Panthéon Vigner, Marguerite Duras a rejoint Racine.