Le Télégramme
29 septembre 1999
Première du metteur en scène Lorientais à Paris · Éric Vigner innove à la Maison de Molière
Applaudissements polis pour le travail d'Éric Vigner, hier soir à La Comédie-Française. C'est au jeune metteur en scène breton, directeur du Centre dramatique de Bretagne à Lorient, que Jean-Pierre Miquel a confié la mise en scène de L'École des Femmes.
Cette comédie fait partie, avec L'Ecole des maris et Le Mariage forcé, de la programmation de la Comédie-Française cette saison.
Dans cette trilogie du mariage, écrite par Molière de 1661 à 1664, le rêve du mariage parfait se transforme en cauchemar pour les pauvres hommes qui n'en sortent pas indemnes.
Souvenez-vous, dans L'École des femmes, Arnolphe aime Agnès, la jeune fille sur laquelle il a jeté son dévolu lorsqu'elle avait quatre ans, et qu'il a éduquée en dehors du monde et selon ses principes, pendant treize ans, pour l'épouser ensuite.
Dès le début de la pièce, on est au coeur du sujet : Je veux terminer la chose... Épouser une sotte pour n'être point un sot... Je veux qu'elle soit d'une ignorance extrême... . Après deux jours d'absence et de retour chez lui, Arnolphe rencontre le jeune Horace qui lui annonce qu'il vient de tomber amoureux d'Agnès. Arnolphe, désespéré, va tout imaginer pour chasser son ami qui est devenu son plus grand ennemi...
Une leçon de mise en scène
Le décor, un échafaudage fait de baguettes de bois fines et claires, avec en hauteur une plate-forme qui donne une troisième dimension à la scène, ressemble à une architecture. L'idée d'une construction est bonne, car, n'est-ce pas en rencontrant pour la première fois Agnès petite, qu'Arnolphe va construire sa vie, et bâtir son rêve d'amour fou ?
La mise en scène d'Éric Vigner fait penser à une cérémonie, plutôt qu'à une comédie. La diction très travaillée et (trop) lente qui appuie sur chaque mot, les gestes étudiés, les bras suspendus, les révérences et les évanouissements, les cris et les chuchotements donnent plus l'impression d'assister à une tragédie de Racine qu'à une comédie de Molière. Plus encore, on assiste à une leçon de mise en scène d'Éric Vigner qui propose un travail exigeant et rigoureux, sans vulgarité aucune, mais qui donne une interprétation du texte de Molière dont on n'a pas l'habitude.
Une bonne distribution
Arnolphe est remarquablement interprété par Bruno RaffaËlli, à la stature imposante. Son élocution lente en fait un être pédant et ennuyeux. Mais ce soit-disant amoureux romantique, n'est-il pas en réalité qu'un éducateur égoïste et calculateur.
La jeune Johanna Korthals-Altes, comme une marionnette suspendue à des fils, à la chevelure rousse et au teint diaphane, interprète Agnès avec une légèreté et un grâce étonnante. Poupée ou automate, dodelinant de la tête et balançant les bras, elle représente le monde de l'enfance. Toutefois, son air réfléchi et sérieux est celui d'une femme capable de raisonner. Le titre de la pièce L'Ecole des femmes désigne bien ce paradoxe de l'enfance et du monde adulte.
Horace, joué par le talentueux Éric Ruf, (qui ouvre, à partir du 15 octobre la saison au Centre dramatique de Bretagne en tant que metteur en scène avec le spectacle Les Belles endormies du bord de scène ), c'est la vie, la fougue, c'est l'extérieur qui débarque dans cet univers clos. Enfin de l'air et de la vitesse. On comprend qu'il réveille Agnès.
On sent une grande recherche dans cette mise en scène qui se veut novatrice. L'idée d'une cérémonie en trois dimensions, la façon qu'ont les acteurs de s'adresser directement au public, la musique qui ponctue certains moments importants, sont bien rendus. Surpris par l'originalité de cette mise en scène intéressante dans la première partie, certains pourront trouver la lenteur étudiée de l'action, pesante dans la seconde partie. Finalement, cette comédie de Molière n'était-elle pas une tragédie qu'il a vécue lui-même en épousant Armande Béjart, de vingt-cieux ans sa cadette, en 1662, année de la création de l'Ecole des femmes...