Le Télégramme
25 janvier 1996
Une pièce sur la nécessité du théâtre . L'ILLUSION COMIQUE ce soir au Quartz
ÉRIC VIGNER, dont la mise en scène de La pluie d'été a laissé une trace durable dans les imaginaires, est de retour à Brest pour présenter L'ILLUSION COMIQUE de Corneille. Dans cette pièce essentielle sur "la nécessité du théâtre" ce dernier prône, bien avant le célèbre slogan, l'amour plutôt que la guerre.
"Je dirai peu de chose de cette pièce : c'est une galanterie extravagante, qui a tant d'irrégularités qu'elle ne vaut pas la peine de la considérer, bien que la nouveauté de ce caprice en ait rendu le succès assez favorable pour ne me repentir pas d'y avoir perdu quelque temps."
Ces quelques propos sur L'Illusion comique tenus en 1660 par Pierre Corneille lui-même résument assez bien le caractère singulier de cette pièce dans l'œuvre de l'auteur du Cid.
Une œuvre fondatrice
De retour à Brest après Le régiment de Sambre et Meuse en 1993 et La pluie d'été, qui inonda de bonheur les spectateurs du Stella à Lambézellec, le Rennais ÉRIC VIGNER, tout jeune directeur du théâtre de Lorient, a choisi de s'y attaquer. Inaugurer sa nouvelle maison morbihannaise par cette œuvre relevait de l'évidence. "Comme Les gÉANTs de la montagne ou La vie est un songe".
L'ILLUSION COMIQUE est une pièce admirable sur la nécessité du théâtre. "Elle ne parle que de ça, en y ajoutant l'humanisme et l'amour", souligne-t-il. Pour lui, Corneille a posé là les fondations du théâtre moderne. Les célèbres trois unités de temps, d'action et de lieu restent d'incontournables repères, tout comme la manière d'aborder les thèmes.
"On y découvre surtout une très grande attention à une langue qui s'épure. Le premier vers, modifié dans l'espace de trente ans qui sépare les deux versions, place d'emblée la barre très très haut : "ce mage qui d'un mot renverse la nature.""
Anciens et modernes
VIGNER s'est alors attaché à traduire cette permanente idée de la conversion, du mépris en amour, de la haine en amour, de la réalité en illusion, via des jeux de miroirs et des "flash-backs" quasiment cinématographiques. "Presque tous les personnages vont œuvrer à chasser la guerre pour laisser éclater l'amour. Ceux qui n'y parviendront pas mourront."
Au delà de la métaphore, de la fable, c'est aussi l'histoire d'un père du XVIIIe siècle qui parcourt le monde et l'Europe pour retrouver la trace de son fils qu'il avait chassé. "Je crois que Corneille avait en tête la double préoccupation de réunir d'une part les anciens et les nouveaux et d'autre part de faire passer l'idée du théâtre comme un art moral", précise VIGNER.
Fantaisie musicale
À cette pièce, synthèse de tous les styles théâtraux d'alors (farce, pastorale, commedia dell'arte) vient s'ajouter une jolie fantaisie musicale. Cet anachronisme voulu prend la forme du quatuor à cordes Matheus qui, 85 soirs durant, jouera des extraits d'œuvre de Bach, Vivaldi, Mozart, Purcell et Charpentier.
"En fait, sur Corneille et la musique, nous n'avons guère trouvé qu'Andromède de Charpentier, dont il n'existait d'ailleurs que le manuscrit à la bibliothèque nationale. Dans la pièce, nous sommes installés au centre du plateau et nous participons à l'action en l'initiant, en la soutenant, en la contredisant parfois", explicite le violoniste Jean-Christophe Spinosi.