Ouest France
26 janvier 1996 · PIERRE GILLES
Belle leçon de théâtre au Quartz
Le metteur en scène Éric Vigner et les comédiens du Centre dramatique de Bretagne à Lorient donnent encore ce soir et samedi à 20 h 30 au Quartz une pièce de Pierre Corneille : L'illusion comique. Derrière des histoires d'amour, entre un père et son fils, entre ce fils et la jeune Isabelle, se cache une très belle leçon de théâtre. Le public brestois, très jeune mercredi soir, a bien reçu la pièce et bien accueilli la troupe.
Curieuse pièce que L'illusion comique, écrite en 1636, un an avant Le Cid. Curieuse et déroutante, car, à la lecture, elle semble décousue et relever de genres différents au théâtre.
Au Capitan gascon (hé oui ! gascon comme d'Artagnan), Matamore dans la lignée des Rodomont de la comédie italienne, répond le jeune Clindor, fin et rusé, proche d'Arlequin, précurseur des Scapin et autres Figaro. A côté de ces personnages de la comédie ou de la farce, évoluent des amoureux falots ou maniérés, mais aussi des hommes et des femmes d'apparence tout à fait raisonnable, plus proches de la comédie classique, voire de la tragédie, comme dans le dernier acte de la pièce..
Les pères en particulier - de Clindor et d'Isabelle - sont tout à fait sérieux, quand ils ne sont pas douloureux. Ce qui n'empêche pas le premier, Pridamant, un père breton, de faire appel à un... mage, pour obtenir la représentation des faits et gestes de son fils Clindor ! Un fils dont il est sans nouvelles, et qu'il aime et voudrait retrouver après l'avoir chassé de chez lui. Le mage est, du reste, le personnage clé de la pièce : celui qui ouvre le rideau sur la représentation des aventures de Clindor.
Les excès qu'on attend des acteurs de tréteaux
Décousue la pièce ? Elle ne l'est plus quand elle est jouée. Au contraire, dans la mise en scène d'Éric Vigner, tout devient clair. Le premier acte est le sésame qui tait entrer le spectateur dans l'action et le rend complice du père dans la quête de son fils. Et qu'importe l'importance des aventures où la magie nous transporte. Au milieu des glaces qui renvoient et multiplient les reflets des personnages. On suit le fils dans ses démêlés amoureux, on observe ses adversaires et les femmes qui le concernent. On est comme Pridamant, on regarde... Jusqu'à la tragédie finale, qui n'est qu'un jeu.
Et tout cela est très plaisant. D'abord parce que le vers de Corneille est admirable et qu'il est fort bien dit par la plupart des acteurs, presque tous. Ensuite parce que les comédiens sont superbes : ils sont au théâtre dans le théâtre, ils jouent avec cet excès qu'on attend des acteurs de tréteaux. Ils donnent vraiment cette illusion comique qui fait accéder le père, Pridamant, et donc le spectateur, à la vérité. Un père dont le jeu, par un contraste voulu et bien vu, est d'une grande sobriété : Guy Parigot est parfait. Comme sont parfaits ses compagnons : Eric Petitjean dans le rôle de Clindor, Grégoire Oestermann dans celui de Matamore, Eric Guérin qui est le mage, Nazim Boudjenah en amoureux jaloux, et Dominique Charpentier, admirable Lyse, servante d'Isabelle.
Oui, vraiment, une, belle leçon de théâtre ! Et bien servie par le Quatuor Matheus, de Brest, qui accompagne l'action et joue en live.