Ouest France
15 janvier 1996 · Michel TROADEC
Une Illusion comique de toute beauté
En construisant autour des mots de Corneille une mise en scène visuellement très belle, Éric Vigner présente une Illusion comique agréable à suivre. Malgré sa longueur, cette promenade à travers les miroirs de l'illusion a bien du charme. La langue y est ardue, mais l'image brillante.
Pas mal de curiosité chez le public, vendredi soir au Théâtre de Lorient pour la première de L'illusion comique, et un... on ne sait trop quoi d'interrogations. Pas sur le talent d'Éric Vigner mais plutôt sur sa capacité à proposer au public lorientais un travail qui ne cantonne pas le jeune metteur en scène dans des sphères théâtrales peu adaptées à une ville moyenne. D'autant que, on l'a dit, L'illusion comique n'est pas une oeuvre facile.
Jeux de miroirs
A l'issue de la représentation, les sourires étaient de mise et les commentaires élogieux. Cette adaptation de la pièce de Pierre Corneille a plu. Cela, malgré son étirement sur deux heures vingt et une relative difficulté de compréhension, en début de représentation, pour ceux qui n'ont pas jeté un oeil auparavant sur l'intrigue.
Qu'a donc imaginé Vigner ? Des panneaux de verre comme unique décor, jeu de miroirs où les personnages se promènent et se reflètent à l'infini dans une lumière rasante. Leur histoire n'est-elle pas qu'illusion ? C'est ce que le public est appelé à découvrir. Comme Pridamant (Guy Parigot), réduit lui aussi au rôle de spectateur. Ce père à la recherche de son fils le suit en images grâce au magicien Alcandre. Mais ce qu'il croit être la réalité n'est que du théâtre dans le théâtre, avec des comédiens habillés de noir et blanc, "spectres pareils à des corps animés".
Intermèdes musicaux
Le reste est une histoire d'amour croisée. Et sur l'amour, qui croire, interroge finalement Corneille jouant sur toute la gamme des sentiments. Avec un Matamore (Grégoire Oestermann) brillant, vaniteux et lâche à souhait, plein de mimiques et de grimaces dans ses faces à faces. Le jeu des comédiens tient la route. Dommage que le peu de différence d'âge entre les rôles égare de temps à autre la lecture. D'autant que l'intensité des dialogues en vers demande déjà une bonne attention, allégée toutefois par les beaux intermèdes musicaux du quatuor Matheus installé dans une fosse au centre de la scène. On ne verra pratiquement d'eux, habile effet, que les chapeaux et les archets des violons.
Certes, on peu s'agacer du ton parfois traînant adopté, des pointes d'humour pas assez savamment distillées à un public prêt à rire, de la pauvreté symbolique d'un dollar graffité sur une vitre...
Pour autant, cette lecture moderne et esthétique passe bien, avec un rôle pédagogique incontestable sur la représentation théâtrale. C'était une des préoccupations de Jean-Yves Le Drian et de Jacques Milon, directeur national du théâtre, lors de l'inauguration de vendredi soir. Éric Vigner apporte une brillante réponse.