Le Progrès · Lyon Matin
22mars 1996 · Jean-Philippe Mestre
Un spectacle élégant pour un plaisir de qualité
Un Corneille drôle, galant, revendiquant hautement la gloire et la fortune pour le comédien, et réinventant à sa façon le théâtre dans le théâtre...
L'illusion comique n'est pas une pièce ordinaire, on y vole par-dessus les temps, les lieux, les convenances, on y fait des clins d'oeil à la comédie italienne comme aux grands spectacles à monstres et à machines, pour terminer par une revendication syndicale pour les professions de la scène. On y jongle aussi avec la moralité, les beaux sentiments, la fidélité amoureuse, le respect dû au prince... Bref, le Corneille de trente ans fait par avance un pied de nez à ce qui fera sa gloire.
Il reste que cet "étrange monstre" dramatique, comme l'auteur lui-même le qualifiait, pose aujourdhui de solides problèmes de mise en scène, qui tiennent moins à l'"étrangeté" du propos qu'aux péripéties de l'intrigue, dont le moins qu'on puisse dire est qu'elle ne paraissent pas aussi passionnantes au spectateur du XXe siècle qu'elle ont pu l'être pour ceux du XVIle.
Le spectacle composé par Éric Vigner séduit par sa qualité plastique, son astuce, l'intelligence avec laquelle il utilise toutes les ressources d'une scénographie très joliment conçue (une série de panneaux translucides). On saluera l'élégance d'un travail qui endosse les défroques du XVIIe pour mieux tailler un costume au goût du jour: le jeu et la diction refusent le naturel pour trouver, dans une sorte d'emphase, une force, une étrangeté plus radicales. Ou bien on se montrera plus sceptique sur l'aspect un peu "chichi-gratin" d'un objet culturel très mode - c'est affaire de goût.
Pour notre part, ce sont surtout une certaine lenteur du phrasé, une certaine bonhommie du rythme et des inégalités dans la distribution qui nous ont un peu gêné pour savourer totalement la savante alchimie préparée par Vigner. Il n'en reste pas moins que cette Illusion comique dispense, avant tout, un plaisir de qualité.