La Griffe n°8 · 07 février 1996 · L’ILLUSION COMIQUE

La Griffe n°8 · 07 février 1996 · L’ILLUSION COMIQUE
Un étrange monstre au Palais des Glaces
Presse régionale
Critique
François Piron
07 Fév 1996
La Griffe
Langue: Français
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La Griffe n°8 

07 février 1996 · FRANÇOIS PIRON

L'Illusion comique : Un étrange monstre au Palais des Glaces

"Étrange monstr", c'est le qualificatif donné par Corneille à L'Illusion comique, objet non identifié qui est avant toute chose un hommage avoué au théâtre, une auto-célébration non dénuée d'ironie. C'est cette pièce emblématique qu'ÉRIC VIGNER a choisie pour entrer dans ses nouvelles fonctions de directeur du CDR de Lorient, et qu'il présente au TNB jusqu'au 12 février.

Pendant que les spectateurs gagnent leur place, des comédiens vont et viennent, rangent quelques chaises, tandis qu'une bande enregistrée diffuse... un murmure de salle de spectacle. Guy Parigot, l'air pénétré, arpente la scène en costume, en proie à un vrai-faux trac; un autre relit son texte tout en allumant quelques bougies, s'approche insensiblement de la rampe et déclame : "Ce mage qui d'un mot renverse la Nature..."

Magiquement, la pièce vient de commencer... Rarement on vit de plus belle et de plus habile entrée en matière, dans un espace simple et compliqué, où des enfilades de vitres renvoient les reflets vacillants des acteurs, où les lumières ménagent des clair-obscurs subtils, tandis que le Quatuor Matheus, du fond de sa fosse, accompagne les péripéties de Clindor et Isabelle.

Il y a peut-être là un des traits caractéristiques de cette nouvelle génération de metteurs en scène français, dont on a eu un aperçu cette saison, avec S. Nordet et E. VIGNER. Leur adaptation des classiques s'inscrit dans une contemporanéité incontestable, tout en respectant un "esprit" originel du texte, sans volonté de le réinvestir d'une quelconque "actualité" (comme peuvent le faire Langhoff ou Lavelli), parti-pris qui semble témoigner d'une postmodemité pleinement assumée.

Tout est dit dans ce prologue de L'Illusion cornique. VIGNER y met en évidence ressorts et coulisses (rideau rouge, projecteurs apparents, micros...) tout en affirmant que le théâtre, c'est "un acteur qui arrive et raconte une histoire". Malgré ses allures de truisme, la remarque prend son sens lorsqu'on observe la mise en scène : c'est le simple désir de retrouver les orgines du théâtre. La grotte d'Alcandre devient alors la scène, et Pridamant, le premier spectateur de ce jeu de miroirs où se mire le théâtre.

Le choix même de Guy Parigot dans le rôle de Pridamant participe de cette mise en abyme du théâtre : le patriarche du théâtre breton, ancien professeur de VIGNER au conservatoire de Rennes, interprète ce père, bourgeois rennais, parti à la recherche de son tifs.

Malheureusement, la magie du début de pièce ne dure pas tout au long des 2h30, et une certaine monotonie s'installe, en grande partie due aux alexandrins cornéliens, dont VIGNER a souvent pris le parti de conserver l'obscurité pour nos oreilles modernes. À cette difficulté du vers s'ajoute un problème d'acoustique, ce qui n'arrange rien, mais la prestation des comédiens rachète tout, en particulier celle de Nazim Boudjenah, Adraste baroquissime...