L'Air d'Avignon
Juin 1996 · A.H.
L'ILLUSION COMIQUE vue par ÉRIC VIGNER
Cette "galanterie extravagante" du jeune Corneille - il a 30 ans - est une comédie si complexe que chacun de ceux qui l'ont montée en ont donné des versions totalement différentes, du TNP à Vigner, qui peut nommer à juste titre "création" l'Illusion Comique présentée au Théâtre de Cavaillon les 25, 26, et 27 avril.
Vigner a donc imaginé un Palais des Miroirs où le reflet se confond avec la transparence, labyrinthe plutôt que grotte, mirage qui s'affronte à la présence réelle des acteurs. Mais il le traite, ce Palais, avec la rigueur d'un jardin à la française. S'y perd qui veut. C'est pourquoi la lumière, autre version du reflet et de la transparence, peut être comptée comme un partenaire qui, lui aussi, détourne les lois de l'optique.
Ce décor presque design qui balise l'espace scénique contre-balance un certain rythme de l'interprétation. Vigner lui imprime la lenteur de la tragédie et la diction parfaite, plus que parfaite, des acteurs, a les accents oubliés des matinées classiques d'avant Vilar, lequel habitua nos oreilles à d'autres cadences. Mais cela ne messied point à un "caprice" qui accumule les contrastes et même les contradictions, "tout irrégulier qu'il est" et Vigner use ici du droit du metteur en scène de ressusciter un texte, qui appartient à tous, en lui donnant son propre chant.
Cette fantasmagorie n'eut pas été complète sans la magie d'un "caprice musical". On a reconnu Marin Marais interprété par la Quatuor Matheus avec l'émotion qu'on leur connaît. Un moment ils firent des acteurs des danseurs. Vigner est dans le droit fil de Corneille qui donne avec l'Illusion comique l'aspect le plus surprenant, le plus extravagant, le plus bizarre de son oeuvre, qu'on peut dire la perle baroque du théâtre français.