Libération · 22 janvier 1996 · L'ILLUSION COMIQUE

Libération · 22 janvier 1996 · L'ILLUSION COMIQUE
VIGNER semble avoir souhaité son spectacle comme une seule note de musique, la plus pure et la plus longue possible.
Presse nationale
Critique
René Solis
22 Jan 1996
Libération
Langue: Français
Tous droits réservés

Libération

LIBÉRATION

22 janvier 1996 · RENÉ SOLIS

À Lorient, VIGNER ne bâille pas à CORNEILLE

Le port breton ressuscite son ancien théâtre avec L’ILLUSION COMIQUE.

Du théâtre de Lorient il reste aujourd’hui la photo d’une affiche sur un pan de mur au milieu d’un champ de ruines. En 1945, quand les bombardements alliés détruisirent la quasi-totalité de la ville fondée en 1666 - l’année du MISANTHROPE de MOLIÈRE - par la Compagnie des Indes, on jouait au théâtre municipal HISTOIRE DE RIRE d’ARMAND SALACROU.

GUY PARIGOT se souvient de cette salle à l’italienne rasée par les bombes où, pendant la guerre justement, il avait fait ses premières armes de comédien dans un spectacle de revue. Un demi-siècle plus tard, PARIGOT est de retour à Lorient. Il joue dans le spectacle d’inauguration du nouveau théâtre : L’ILLUSION COMIQUE de CORNEILLE, dans une mise en scène d’ÉRIC VIGNER.

Témoin du passé théâtral de Lorient, PARIGOT a également assisté aux premiers pas de VIGNER sur scène : il fut son prof au Conservatoire de Rennes, où le jeune homme, plasticien de formation, commença son parcours de théâtre il y a une quinzaine d’années.

Metteur en scène remarqué (LA MAISON D’OS de ROLAND DUBILLARD, LA PLUIE D’ÉTÉ de MARGUERITE DURAS, REVIENS À TOI (ENCORE) de GREGORY MOTTON...), VIGNER a choisi de fêter son installation à Lorient avec L’ILLUSION COMIQUE, une pièce qui, comme LA TEMPÊTE de SHAKESPEARE, LA VIE EST UN SONGE de CALDERON, ou LES GEANTS DE LA MONTAGNE de PIRANDELLO, emboîte le théâtre dans le théâtre et questionne les rapports entre la réalité et l’apparence. "Pièce-manifeste", dit VIGNER, et "pièce de transition qui traite du passage entre l’ancien et le nouveau, et de l’utopie de la réunion du père et du fils".

Ce père, interprété comme de juste par PARIGOT, vient consulter en sa grotte Alcandre, "ce mage qui, d’un mot, renverse la nature" - c’est le premier vers de la pièce - dans l’espoir d’obtenir des nouvelles de Clindor, son fils disparu. Pour représenter cet "étrange monstre" ou cette "galanterie extravagante" - les deux expressions sont de CORNEILLE , VIGNER a opté pour un décor nu, ce qui ne veut pas dire simple.

Seules quelques vitres se dressent sur le plateau où s’ouvre une cavité, à la fois entrée de la grotte d’Alcandre et fosse d’orchestre où jouent les violonistes du QUATUOR MATHEUS, qui accompagnent le spectacle. Toute la machinerie du théâtre est apparente, et le grand rideau rouge, ouvert en permanence, ne semble d’aucune utilité, sauf pour ce poltron de Matamore, qui fait mine de s’y accrocher. Des chandeliers avec des bougies constituent à peu près les seuls autres éléments de ce décor qui casse par ailleurs toute perspective. Hormis l’entrée de la grotte, il semble n’avoir ni point fixe, ni lignes de fuite.

Le résultat est étonnant : un monde flottant, où les vitres renvoient des images tremblantes et où les reflets semblent moins le résultat d’une volonté d’effet que le fruit du hasard. Ce n’est pas une galerie des Glaces qu’ont imaginée VIGNER et son décorateur CLAUDE CHESTIER, mais un prisme qui change au gré du vent et des nuages. Ce décor en apesanteur est traversé d’ombres en somptueux costumes anciens, où dominent le noir et le blanc. VIGNER semble avoir souhaité son spectacle comme une seule note de musique, la plus pure et la plus longue possible.

Douceur, détachement, clarté dans la diction des vers : GUY PARIGOT (Pridamant) et JÉRÉMIE OLER (Dorante) donnent le ton dans une première scène qui place le spectacle en orbite, à la lisière du rêve.

L’atmosphère rappelle celle qui règne dans les spectacles de KLAUS MICHAEL GRÜBER ou dans l’historique BAL MASQUÉ de LERMONTOV que VASSILIEV avait mis en scène à la Comédie-Française. Deux metteurs en scène à qui VIGNER reconnaît vouer une grande admiration.