ACTUALITE DE LA SCENOGRAPHIE
Jean Chollet · Novembre 1993
THÉÂTRE DE LA COMMUNE-PANDORA
Le roman de Marguerite Duras, La Pluie d'Eté, est porté à la scène par Éric Vigner, jeune metteur en scène dont le talent s'est affirmé dès ses premières réalisations, (La Place Royale, La Maison d'Os, Le Régiment de Sambre et Meuse). Ce texte superbe, écrit en prolongement du film Les Enfants, réalisé par Marguerite Duras en 1984, évoque l'univers d'une famille d'immigrés à Vitry-sur-Seine. Le père italien, la mère ukrainienne, et leurs sept enfants. À travers la vie au quotidien, ses inquiétudes et sa marginalisation, qui n'étouffent pas une formidable générosité, le récit s'articule autour du fils aîné Ernesto.
Âgé de "12 à 20 ans", celui-ci refuse la scolarité "Parce qu'à l'école on m'apprend des choses que je ne sais pas". Une formulation énigmatique et un refus qui remettent en cause l'équilibre d'un ordonnancement social. Dépassant la fresque sociologique et une interrogation sur le savoir, Marguerite Duras, avec tendresse et humour tend un miroir face à l'inexplicable et aux malaises du monde d'aujourd'hui. Issu d'un travail d'atelier de troisième année au Conservatoire Supérieur d'Art Dramatique, ce spectacle créé dans un théâtre à l'italienne, témoigne de la passion d'Éric Vigner pour un grand texte, mais aussi de sa maîtrise à appréhender l'espace avec originalité.(Voir A.S. n°65).
Pour évoquer une réalité géographique et sociale très affirmée, il choisit une confrontation avec un lieu théâtral mythique (ou ses dérivés), l'utilisant dans sa totalité, sans rupture matérialisée entre la scène et la salle, instaurant un rapport instable entre acteurs et spectateurs. Dépouillée, sans artifice, cette prise en charge de l'espace contribue efficacement à la perception et à la réussite du spectacle. Alternant avec fluidité le récit et les dialogues, cette création intelligente et sensible est interprétée avec une émotion fragile et souriante, par Hélène Babu, Jean-Baptiste Sastre, Philippe Metro, Anne Coesens, Thierry Collet, Marilu Bisciglia, tous excellents. Collaboration scénographique de Claude Chestier, lumière Martine Staerk, costumes Myriam Courchelle, son Xavier Jacquot. Indiscutablement une des réussites de la saison.