NOTES PRELIMINAIRES · ÉRIC VIGNER
(Genèse d'un projet)
"L'artiste doit descendre dans l'inconnu sans limites de l'âme humaine, résister à l'évident et aller au coeur enfoui des choses où le sens même est rare. Il ne peut savoir ce qu'il trouvera, il doit réfréner son jugement, être illogique et obstiné". Gregory MOTTON
MOTTON ne fait pas de dramaturgie.
Il livre son théâtre brut, sans mode d'emploi.
"C'est une énigme à découvrir avec les acteurs" aurait dit Antoine Vitez.
De la poésie pure qui vous touche au coeur, ou peut-être non. On ressent (feeling inside) que ça cause de l'existence, de notre existence, de l'homme, et de la terre, aujourd'hui. (Ce n'est pas une pièce sur les sans-abri, pas un documentaire, MOTTON ne fait pas de critique sociale.)
La question est métaphysique.
"Le futur qui se trouvait devant moi, est déjà dans le passé sans jamais avoir été dans le présent."
Abe, F.P., (la fille de la Pérégrination), la Femme Sombre, ne sont pas des "Clodos", ce sont des figures nobles, celles d'une sainte trinité désolée, éclatée, aux quatre coins du monde. (Le décalage, le trouble, le déséquilibre, la marge, la limite, le dedans et le dehors : ce sont les maîtres mots de la "mise en scène" de ce texte) Abe c'est Oedipe, peut-être, il n'a pas couché avec sa mère, seulement avec sa fille, peut-être, qui est enceinte de lui : "les erreurs sont toujours initiales." César Pavese.
MOTTON c'est du théâtre humaniste, c'est-à-dire optimiste, du théâtre qui revendique tendrement la nécessité de la poésie aux hommes, sans savoir encore quelle forme elle doit revêtir.
Il ne faut rien "revêtir" surtout, mais "Inventer la vérité" selon la formule de Verdi.
Chercher, en direct, douter sans lourdeur, sans grisaille, sans misérabilisme, douter avec grâce, avec humour, avec violence et passion.
MOTTON est mon contemporain et je le comprends de l'intérieur.
MOTTON c'est aussi le fils improbable outre-manche de Roland Dubillard, trente ans après, un écho à "Mieux vaut parler comme on veut, que comme il faut, sinon..."
Les similitudes, les filiations, les re-connaissances entre les deux hommes, tel père tel fils, sont nombreuses : langue de poète, plaisir de la langue, grands amuseurs de mots, entre réalité et fiction, temps et lieux indéterminés, liberté affirmée de l'artiste et vécue dans sa chair, monde de l'enfance perdue et jamais retrouvée, pas de psychologie ou si peu, rigolade, amusement, tragi-comédie boufonne et loufoque et encore et encore...
Il faut cesser de savoir pour "monter" MOTTON. Il faut plonger avec lui, faire table rase de ses petits trucs et tenter le pur et dur, l'acte poétique sans filet, exercer, sans style aucun. "Inventer la vérité..."
Mon travail a toujours été lié à la réalité du lieu investi, à sa magie propre, pour toujours travailler sur la bande, sur le décalage, la limite, l'entre, entre le réel et la fiction, là où se loge la poésie...
LOOKING A YOU (REVIVED) AGAIN se jouera dans un théâtre à l'italienne.
Un théâtre à l'italienne vide, désaffecté.
Magie inhérente à sa mémoire intrinsèque.
Or et velours grenats.
La nuit.
Cérémonie secrète, y être convié.
Trois êtres jouant pour eux-mêmes et devenant pour eux-mêmes les personnages de leur propre histoire.
Fragments de leur vie. Passé, Présent, Futur.
Quête. Voyage.
- Entre le réel et la fiction.
- Entre la vie et la mort.
- Entre le rêve et la réalité.
Le théâtre tout entier, Madame James au balcon, Abe au bord de la scène les bras tendus.
Où en est-on du théâtre aujourd'hui ?
De la forme qu'il faut trouver pour parler aux hommes ?
"Inventer la vérité..."