La Croix
9 décembre 1994 · DIDIER MÉREUZE
La perversion douce de Vigner
"Un poème dramatique plutôt qu'une pièce". C'est ainsi qu'Éric Vigner présente Reviens à toi (encore)... de GregorY Motton, un spectacle grave et beau ponctué par des accords de cornemuse, qui, de dérives en verbe libre, conduit sur les pistes du refus de la norme, de la faute et de l'exclusion en compagnie de comédiens magnifiques - Marilù Marini, Alice Varenne et surtout Bruno Raffaelli - tout au long de ce douloureux parcours pour SDF corrigé par Beckett.
Un texte aussi qui s'inscrit parfaitement dans le parcours de ce jeune Turc de la scène, âgé de 35 ans tout juste, moins théoricien que pragmatique, poseur de bombe qu'adepte de la "perversion douce", qui ne se plaît à rien tant qu'au détournement de lieux, cette fois-ci comme avant. Révélé il y a quatre ans avec Dubillard dans sa Maison d'os présentée dans une matelasserie abandonnée de Vitry, célébré pour de belles réussites (La Pluie d'été de Duras), il doit prendre, à partir du mois de juillet prochain, la tête du Centre dramatique régional de Lorient.
L'occasion, pour lui, de pouvoir s'atteler à un travail à long terme sur le verbe et l'art du théâtre à l'enseigne de sa compagnie Suzanne M. ? Sans nul doute. Mais aussi, celle de jouer la carte d'une culture populaire en réveillant la mémoire collective du port fondé par la. Compagnie des Indes à partir de son passé et des bâtiments, rescapés de la demière guerre, qu'il compte bien investir - citadelle de Port-Saint-Louis ou base sous-marine désaffectée.
Pour ce faire, il dispose d'un (petit) budget - 5 millions, dont 2 versés par l'État, 2 par la ville et 1 par le département et la région qui n'ont manifestement pas encore pris la mesure de cette aventure dont le point d'orgue sera, chaque année, un festival d'été nouvelle manière... Il y présentera sa première création en terre bretonne - L'Illusion comique de Corneille. Tout un programme...