RHINOCÉROS · Préface d''EMMANUEL JACQUART
Folio Théâtre · 1999
Ces nouveaux auteurs n'ont pas besoin de références réalistes. Leur style descriptif tend nettement à un classicisme moderne, dont les archétypes dont JARRY, JOYCE, KAFKA, ARTAUD. Ils travaillent sur le noyau d'une situation culturelle, ils analysent les valeurs que la réalité quotidienne imprègne. Ils opèrent à la pointe d'un effort intellectuel qui, par ailleurs, met en jeu l'existence même des hommes; La divinité plane sur leurs pièces, mais elle y prend une allure malséante. Leur sarcasme devient tragique. Leurs instruments premiers sont le langage et la structure, comme il adviendra plus tard dans l'analyse critique. En particulier, le monde prophétique de Kafka trouve chez eux une raison d'être qui le renouvelle et l'élargit : il donne lieu à une méthode qui peut continuellement se mettre à jour, suivant les développements de notre situation psychologique collective (dont les personnages sont les porte-paroles).
C'est à partir de TUEUR SANS GAGES (1959) et de RHINOCÉROS (1960), pièces plus étoffées et moins provocantes que les précédentes, que l'attitude des chroniqueurs change sensiblement.
Quelques-uns, les inconditionnels de la contradiction, regrettent soudain l'esprit parodique et subversif des premières pièces. Certes, la manière d'Ionesco a évolué au cours des années 50, ce qui explique et les déceptions et les nouvelles adhésions. La popularité croissante du nouveau dramaturge se voit officialisée en 1960 lorsque Jean-Louis Barrault met en scène RHINOCÉROS à l'Odéon-Théâtre de France. Ce changement de cap, IONESCO semble l'avoir souhaité dès 1956 lorsque, à la surprise des admirateurs de "l'avant-garde", il déclare prendre parti pour le "classicisme".
(...) Prendre le théâtre de tradition à contrepied ne suffit plus. Ionesco se tourne donc vers ce réservoir d'images fondamentales, images issues de "l'inconscient collectif", que Jung nomme "archétypes". L'authenticité paraît alors conforme à la psychologie des profondeurs, là où l'individuel et l'universel sont censés se rejoindre. Sur un point, toutefois, l'approche de l'auteur reste inchangée: elle s'inspire de la vision que CROCE avait de l'art, vision selon laquelle l'oeuvre vaut lorsqu'elle est originale, inattendue, unique dans sa forme.