Entre voix et image
Étrange parole à laquelle l'écriture de MARGUERITE DURAS donne naissance : cette parole se meut en cette zone intérieure de silence où se fait le dire du pouvoir d'entendre et que les voix peuvent envahir des échos de paroles en fragments. Ce qu'il est convenu d'appeler personnages, rôles, expressions sont la figuration projective - toujours d'une intense instantanéité - de ces échos de voix porteurs de fragments de paroles ? Les voix n'accompagnent pas l'image visuelle : elles la provoquent parfois pour ensuite l'abandonner comme épave ou encore elles la rencontrent pour la briser et aussi pour la tendre jusqu'à son extrême jouissance - sorte d'orgasme qui l'évanouit.
L'évanouissement est cette échéance ou échouage corps lorsque la voix vient à atteindre sa limite et lorsqu'avec elle a disparu le silence d'un espace in gardien de l'ombre et signe de l'absent. Alors l'écriture serait tout entière scène extérieure, corps violents agis : le fou est une écriture dont l'ombre est disparue. Écriture extrême, ivre de trop savoir ou de trop interpréter ; la folie hante l'écriture qui, pour être possible, doit rester soutenue du silence dont elle s'origine. Le texte - celui de MARGUERITE DURAS - assigne au silence le pouvoir d'un lieu de parole intérieure, charme et terreur à la fois. Cette parole est terrifiante parce qu'aucun récit ne peut la retenir, ne peut empêcher ses glissements ou encore assurer une limite à ce qui s'ouvre par elle et en elle. L'homme tient-il debout seulement par ce qu'il se raconte ?
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Écrire - tout comme analuein - est oeuvre de déliement. Nous l'avons dit : cette écriture sollicite, provoque ou engendre l'intervalle interne d'un redoutable silence où remuent des paroles apportées par des échos de voix. Ce silence est théâtre d'ombres angoissantes. Il est le signe de l'absent. Ce silence enfin qui engage la terrifiante immobilité du corps se place juste en ce lieu du manque que le psychanalyste a désigné comme un vide que la parole feint d'ignorer, pour ne point s'entendre en ce qu'elle dit. Ce silence hante la parole qui le fuit sans cesse. Et la parole ou l'action sont parfois faites de l'illusion que ce vide peut être comblé par elles ou encore que ce vide n'existe pas.
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L'écriture de MARGUERITE DURAS - entre voix et image - porte ce déliement jusqu'à l'extrême limite où s'achève la certitude des représentations objectives qui s'assuraient d'un espace que l'homme avait mis en place - pour son regard, sa pensée, sa parole et son action - afin de maîtriser son angoisse.
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Au moment où la mémoire n'engage plus ce qui serait raconter, la répétition est possible. Et aussi la folie - non pas n'importe quelle folie - celle qui est de femme et d'enfance ou celle d'adolescence. L'homme est un voyageur de commerce. Et tout discours théorique pourrait ressembler à celui d'un voyageur de commerce, lorsque l'homme est fait d'arguments de raison. Les femmes accueillent cet homme et, de tout leur silence, elles l'écoutent et en entendent l'enfance. Elles l’écoutent d'un regard et d'un geste dont la lenteur ou l’immobile mouvement font violence au discours. Ce discours parvient à se taire. Il fait place à la déambulation d'un espace dont seule la musique ou la voix peut indiquer qu'il est le lieu immobile d'une étrange violence.