Découverte de la Pluie d'été
ÉRIC VIGNER · Mars 1993
Né de la rencontre d'un film et d'un désir d'écriture, LA PLUIE D'ÉTÉ est un livre hybride où l'on passe insensiblement de scènes dialoguées à la narration, au récit, au roman. Le passage se fait sans heurts, avec délicatesse, et l'univers de la pluie d'été vous pénètre.
En 1984, Marguerite Duras a fait un film intitulé Les Enfants : "Pendant quelques années, le film est resté pour moi la seule narration possible de l'histoire. Mais souvent, je pensais à ces gens, ces personnes que j'avais abandonnées et un jour j'ai écrit sur eux à partir des lieux de tournage de Vitry. Pendant quelques mois, ce livre s'est intitulé Les Ciels d'Orage, la Pluie d'Été, j'ai gardé la fin, la pluie".
Cette Pluie d'Été théâtrale est née en toute liberté d'un atelier que j'ai réalisé au Conservatoire (1) de janvier à mars dernier. Comme quelquefois cela peut advenir, la rencontre s'est faite entre les acteurs, le texte et le lieu. La magie théâtrale s'est avérée. L'intitulé de l'atelier devait être "De la lecture au jeu", si dramaturgie il y avait eu. Mais il fallait tout abandonner, tout donner, laisser ses petits trucs de côté et sauter sans filet, donner la plus intime et la plus belle partie de soi-même.
Dans ce texte, unique et rare, isolé dans son œuvre, (ce fut la découverte d'une Duras inconnue, loin de l'image et de l'étiquette publique), nous sommes au bord de l'abîme, face à l'inexplicable.
L'instituteur : Après,... il n'y aurait plus rien...
Ernesto : Je le crois.... Pour moi.... je parle pour moi... Pour moi, après, il n'y a plus rien... rien... que la déduction mathématique... machinale...
L'instituteur, il crie tout bas : Rien.... Ça clôt le cycle... de ce côté-là du monde....
Ernesto sourit.
Ernesto : Ou ça l'ouvre... C'est comme on veut, vous savez bien, Monsieur.
L'instituteur : Non, je ne sais pas, je ne sais rien... Qu'est- ce qui reste à votre avis Monsieur Ernesto....
Ernesto : Tout à coup, l'inexplicable... la musique... par exemple....
Ernesto regarde l'instituteur avec une grande douceur, il sourit.
L'instituteur sourit à son tour.
"Nous sommes des héros, tous les hommes sont des héros" dit Ernesto, l'enfant entre 12 et 20 ans, le fils de ce couple émigré. Et l'on pense à cet article fameux, tant décrié, paru dans Libération à propos de Christine Vuillemin : "Sublime, forcément sublime". Duras n'est pas, comme l'ironisait Desproges, "l'apologiste sénile des infanticides ruraux", elle situe le débat au-delà du bien et du mal, la question était ailleurs, comme dans La Pluie d'ÉTÉ. La question n'était pas celle de la culpabilité. La question était métaphysique.
Au Conservatoire, j'ai eu la chance d'inscrire cette histoire dans l'or et le velours d'un théâtre à l'italienne classé monument historique. Mon travail est toujours lié à la réalité du lieu investi, à sa magie propre, travailler sur la bande, la limite, le decalage, l'entre, là où se loge la poésie. Le théâtre tout entier était utilisé : le balcon, la salle et la scène, sans provocation aucune, avec respect, sans colère. Pas de décors, pas de trompe-l'oeil, seul un plateau troglodyte, un champ de pommes de terre définissant la planisphère, et le livre toujours là, présent, sans qui rien ne pourrait advenir.
Je suis heureux de penser que ce travail aura une suite et que la création de La Pluie d'ÉTÉ se fera dans un ancien cinéma des années 50, dans un quartier populaire de la banlieue brestoise, pour rejoindre ensuite la banlieue parisienne, celle d'Aubervilliers...
(1) Conservatoire National Supérieur d'Art Dramatique