La main de Singe n°3 (91-92) - Editions Comp'Act
"Je réfléchis tant sur cette guerre et ne parviens à aucun résultat : probablement parce que les " événements " bouchent mon horizon. On ne parvient pas à dépasser l'"action" pour voir l'esprit des choses. En tout cas la guerre ne fait pas de moi un naturaliste, au contraire, je sens si fort l'esprit qui plane au-dessus des batailles, l'esprit présent derrière chaque balle tirée, que le réel, le matériel, disparait tout à fait. Les batailles, les blessures, tous les mouvements produisent un tel effet de mysticisme, d'irréalité, comme s'ils signifiaient tout autre chose que ce que disent leurs noms ; seulement tout est "chiffré" et se dissimule encore derrière un épouvantable mutisme ou alors ce sont mes oreilles qui sont sourdes , trop saturées par le bruit, pour parvenir à entendre le véritable langage de ces choses.
C'est incroyable qu'il ait existé une époque où l'on ait représenté la guerre en peignant des feux de campement, des villages en flammes, des cavaliers en chasse ou bien encore des chevaux qui s'écroulent et des patrouilles de cavaliers, et autres images du même genre. Cette idée me paraît franchement drôle, même lorsque je pense à Delacroix, qui, dans ce genre de peinture, était pourtant le plus capable.
Ce que fait Uccello est déjà mieux, les frises égyptiennes sont encore meilleures, mais nous devons encore traiter ce sujet d'une tout autre manière, oui, tout autre ! Quand pourrai-je peindre à nouveau ?"
Franz Marc