Notes de répétitions · BAJAZET

Notes de répétitions · BAJAZET
Notes de travail
Document de répétitions
Éric Vigner
1995
Compagnie Suzanne M. Éric Vigner
Langue: Français
Tous droits réservés

Notes de répétitions du Bajazet

Jeudi 16 Février 1995: ( Cabanon du Vieux Colombier )

Présentation du projet scénographique à l'équipe artistique et technique. Première lecture (sans ponctuation) du texte.

Vendredi 17 Février 1995: ( Cabanon du Vieux Colombier )

-Eric Ruf / Isabelle Gardien / Martine Chevallier.

Acte I scène 3 : Roxane-Atalide
La scénographie indique que nous sommes dans le lieu du danger permanent; cette plaque de fer qui tournoie d'acte en acte rapellant les installations insécurisantes de Richard Serrat fait figure d'épée de Damoclès. La scénogaphie est "tragique": On ne se déplace pas dans ce lieu impunément! Roxane découvre chez elle un inconnu, une perversion. C'est comme si elle découvrait le goût du sang. Gracq parle de sadisme. C'est vrai. Et ce qui est interressant c'est qu'elle ne sait pas ce que c'est. C'est un goût du sang qu'elle découvre. Comme un goût du sang!
Le fonctionnement de Roxane est animal. Moi, je vois un Naja ! Il y a quelque chose de l'ordre d'une fixité chez elle. Il faut évacuer le calcul, ce n'est pas une calculatrice. Elle est fixée: c'est une figure ancestrale de trois siecles d'existence comme Toutankhamon.

Acte I scène 2 : Elle est déjà dans une pensée, dans quelque chose. Elle a déjà pris sa décision! Chaque scène est très différente. Il faut traiter chaque scène comme une pièce à part entière.

Acte I scène 3 : On était, dans les scènes précédentes, au Sénat; Ici on est dans le harem. On peut entendre le Bosphore. Très féminin ! Dans cette scène, Atalide apparaît comme une reine . Elles est une intrigante mais légère c'est à dire sans angoisse.
"je ne retrouvais point ce trouble"= c'est son trouble à elle. Ce sont des tueurs. Les tueurs n'agissent pas avec psychologie. Chez RACINE, "le cœur est chaud mais la bouche est froide". Derrière chaque vers il y a un imaginaire, une couleur, ... mais il ne faut pas les donner. Au sujet du "hélas" de Bérénice ( qui le dit 18 fois dans la pièce), Gruber disait: C'est comme un souffle sur la blessure.
"Enfin belle Atalide il faut de nos destins que Bajazet décide".= Tricotage d'inconscients. Le spectateur entend, le destin des 3 personnages.
Roxane: "Vingts fois..."= Ne pas insister sur le mot. C'est clinique, précis. Roxane tient une comptabilité.
Roxane fait une tentative en direct. Elles essaie en racontant de retrouver le trouble dont elle parle : "du trouble de son coeur jouissant par avance" et puis Bajazet ne parle pas, alors elle craque : "Peut-être trop d'amour me rend trop difficile"!
Pas de complaisance. Tous les personnages se battent (sauf peut-être Bajazet). "O Ciel"= c'est là que la tragédie éclate, non maîtrisée. ça échappe.

Mardi 28 Février

Acte II Scène 5
Cf Alain GROSRICHARD, au sujet du Sérail. Il y montre que le sérail etait un univers extrêmement silencieux, composé d'Eunuques, de nains, de muets qui étaient aussi des assassins; sur un signe de main, ils étranglaient quelqu'un. L'ordre leur en avait été donné.
Erotique : Ces femmes ne vivent qu'avec des monstres ( plus l'esclave est laid, plus il est cher ) ; Dans ce contexte historique, il est impossible que Roxane communique avec Bajazet - donc il y a déjà transgression des lois du sérail de la part de Roxane. Les eunuques noirs pénètrent dans le harem ont été intégralement castrés. Les Eunuques blancs n'ont que les testicules d'ôtés; ces derniers s'occupent des enfants, de leur éducation religieuse; ils dorment entre deux enfants de façon à ce qu'ils ne se parlent pas, ne se touchent pas. Tous ces personnages de la pièce ont une épée de Damoclès au-dessus de la tête. Ils sont morts et ils le savent.
Les choses passent par l'écoute et non par la vue. Cette loi du silence perturbe la parole . La parole n'est pas jetée comme ça. Elle est examinée.

Cette scène commence par quelque chose de très doux, de très tenu et puis soudain c'est l'explosion. C'est la première fois que Bajazet et Atalide se retrouvent - ça arrive tard dans la pièce.
Comment commencer ? Cf le texte de Barthes "Sur RACINE ": le premier à avoir fait ce que dit Barthes, c'est un Allemand, c'est Grüber. Ce qui m'interesse c'est la différence entre le drame, la tragédie et la comédie. Ce qu'il faut absolument chasser, c'est tout ce qui se rapporte à la notion de Romantisme Je vois une entrée muette d'Atalide - dans la scène précédente ils se tiennent derrière la plaque- et je pense qu'ils ne peuvent pas se regarder, du début jusqu'à : "Dans toute son horreur ne s'était pas montrée ". Là, elle peut regarder Bajazet et dire : "Je ne vous voyais pas ainsi que je vous vois". Eric, tu as la possibilité de commencer la scène quand tu veux. Si je prends la scène 5 comme étant une pièce à part entière, je vois que la scène commence par "Eh bien "! Et, c'est Bajazet qui parle ( Parce que Atalide ne parle pas, alors que cette scène à lieu parce que Atalide a quelque chose à dire). Le secret de cette scène repose sur le fait que c'est Bajazet qui parle le premier. Or celui qui parle le premier à toujours tort ( Comme dans les négociations ).
Atalide est dans la magificence de la sainteté. C'est une des statues du Bernin- en apparence- parce que la furie d'Atalide va se réveiller mais au départ, elle est extatique. Les statues du Bernin évoquent ,je trouve, un érotisme torride; toutes ces vierges tellement livrées, abandonnées à Dieu que ça en est presque indécent.

Qu'est-ce qu'il se passe entre chaque vers? Dans ce monologue, chaque vers est une histoire. C'est la tragédie, il n'y a pas d'issue, ils ne peuvent se rejoindrent; c'est pour cela qu'ils se trouvent chacun à l'extrémité du plateau. "Vos pleurs vous trahiraient cachez-les à mes yeux ": Et pourtant il ne la regarde pas. Je pense qu'il ne peut pas la regarder! Toute la tendresse de Bajazet converge sur le "Belle Atalide""Et ne prolongez pas de dangeureux adieux"Et il ne bouge pas. La tragédie, c'est ça, dire adieu pendant 5 actes, depuis des siècles enfin. Il faut faire
reculer le moment de la crise.. C'est un discours très objectif. Il faut dire ce qui est écrit! Elargir les vers- Ces deux là parlent sous les étoiles. Plus la jouisance intérieure d'Atalide est grande, plus ce qu'elle dit est terrible à entendre.
La logique poétique chez RACINE est plus forte que le sens. Atalide a des tentations: tentations mystique, tentation de vertu mais elle ne l'est pas. Le spectateur se raconte des histoires dans les "blancs", pas dans ce qui est dit.
"Non vous ne verrez pas cette fête cruelle": Bajazet lui sape sa jouissance. Disparition d'une certaine pureté: "Quoi cet amour si tendre et né dans notre enfance"NOTE MeS: Quand la guillotine se lève au début du spectacle, on pourrait apercevoir les servantes qui grouillent et se figent en voyant le public- Elles pourraient cacher leur visage derrière un long voile suspendu à leur bras.

Mercredi ler Mars - Salle mounet Sully- Comédie Française.

Acte II Scène 1 : Bajazet-Roxane.
La plaque se déplacera probablement sur le monologue de Roxane. Bajazet se tient derrière la plaque. Il est vu du spectateur lorsque la révolution est terminée. Le drame oriental est différent du nôtre. Il n'y a pas de pathos, pas de psychologie. Ils ne redoutent pas la mort pour eux-même, ils la côtoient en permanence.
Il n'y a pas d'enjeu. Ca n'avancera pas. Jusqu'à cette scène, Roxane doit apparaître comme étant une femme extrêmement douce , fixée sur son obsession. Elle lutte d'une façon phénoménale pour élever son rêve, son désir. On doit penser qu'elle est seule, au départ, comme une actrice qui répète.
Rapport maternel : "J'écarte de vos jours un péril manifeste"Cf "Blue Velvet"de David Lynch La force de Bajazet est dans son silence, plus il parleplus il prend de riques.
Dans cette extrême précaution à ne rien dire, Bajazet est très fort, il réussit quand même à lui dire des choses ( pas de mariage...) sans que Roxane ne réagisse.
Pas de fulgurance de la pensée. Tout est pesé, mesuré. La densification ne passe pas par le regard ou bien c'est par le regard intérieur.- musique de la parole- Roxane: v 455-460 : son interlocuteur est le public. Elle raconte comme on raconte un conte des mille et une nuits, c'est le travail contraire de "l'interprétation". Ce n'est pas projeté mais rentré. Ce qui sort de la bouche est blanc ! ( Cf le procès de Klauss Barbie: la parole des victimes qui viennent témoigner est blanche parce que derrière, l'horreur est tellement énorme que c'en est indicible.) Soit c'est cette phrase blanche qui nomme des faits, soit c'est l'explosion du hurlement! dans cette pièce on peut le faire sur les
"AH"les "OH"...

Acte III Scène 7
"Bajazet interdit Atalide étonnée ", c'est un flagrant délit ! Il me semble juste d'appuyer sur les "T". C'est la forme qui fait sens. On a le sentiment qu'on ne peut les dissocier, comme Roméo et Juliette ... Roxane trouve un appui dans le public; elle demande de l'aide. Elle est seule. c'est une scène très intimiste. C'est comme si elle posait des questions auxquelles on ne donne évidemment pas de réposes.
Il n'y a pas de Dieu pour ces gens-là !

Vendredi 3 Mars- Salle de répétition du Vieux Colombier-

Acte I Scène 1 - Osmin-Acomat
Il s'agit de l'exposition, composé d'une succession de récits ; ( Cf GROSRICHARD sur les va et vient du pouvoir ). C'est une construction chirurgicale, sans états d'âme. Acomat n'est pas très loin d'Iznogoud. C'est un calculateur précis et rigoureux, un joueur d'echecs (et mat). En parlant, il dépasse, il va plus loin que l'hypothèse. Il suffit de dire pour faire advenir !
Acomat met en scène Osmin; Osmin est le seul, venant de l'extérieur, à avoir des yeux. Les autres, à l'intérieur du sérail sont des oreilles. Acomat m'apparait comme étant un personnage très dangereux du fait de cette absence de passion qui le caractérise. Il est d'une précision chirurgicale dans ce qu'il dit et fait; c'est une sorte d'obsessionnel, de maniaque. Je le vois avec un éventail ou quelque chose comme ça qui traduirait les mouvements intérieurs.
Acomat et Osmin sont dans un non-lieu.

Cf GROSRICHARD: Les deux pouvoirs du sultan sont
1) Le regard,
2) La lettre.
Il n'y avait pas de bourreau attitré comme en France, le "bourreau"était désigné sur un simple regard du sultan ou bien par une lettre.

Quand ça commence c'est déjà fini; c'est le système tragique en lui-même. La fixité d'Acomat oblige Osmin à une certaine flagornerie :
"Votre absence est pour eux un sujet de murmure Ils regrettent le temps à leur grand coeur si doux.
Lorsqu'assurés de vaincre ils combattaient sous vous".

Acomat le met en scène:

"De ce qu'ont vu tes yeux parle en témoin sincère
Songe que du récit Osmin que tu vas faire
Dépendent les destins de l'empire ottoman "Si on me disait : "de ton récit dépend l'avenir de la france" je ferais très attention à mes paroles. La parole est dangereuse!
( Développer la notion de point aveugle chez chaque personnage)

Acomat est dans la réalité de son fantasme/
"Quoi tu crois cher Osmin que ma gloire passée
Flatte enor leur valeur et vit dans leur pensée
Crois-tu qu'ils me suivraient encore avec plaisir
Et qu'ils reconnaîtraient la voix de leur vizir "

C'est une fausse interrogation; Isoler le "quoi" permet aux vers qui suivent d'être prononcés sous une forme affirmative. C'est aussi la couleur de la voix qui fera raisonner le dernier vers.

"Viens suis-moi la sultane en ce lieu se doit rendre
Je pourrai cependant te parler et t'entendre"

Je pense qu'il n'y a aucune précipitation sur les dix premiers vers. Il suffit d'imaginer la première fois où quelqu'un est entré à l'intérieur d'une pyramide. Il faut installer la tension sur le temps, ils ont absolument tout le temps ! il faut le penser comme le contraire d'un lieu de complot.

"Et depuis quand Seigneur entre-t-on dans ces lieux
Dont l'accès étaitait même interdit à nos yeux
Jadis une mort prompte eût suivi cette audace"

Il faut vraiment penser que ce lieu est dynamité !

"Que ton retour tardait à mon impatience
Et que d'un oeil content je te vois dans Byzance"

C'est une sorte de salut dont on ne connaît pas la nature Acomat c'est la scrutation perpétuelle ; ce qu'il dit à Osmin, c'est qu'il le voit aussi de l'intérieur. Le vers est pour moi le pont des fleurs. Il ne faut mettre aucune émotion à l'intérieur. C'est avec le geste que l'on montrera l'émotion ou l'agacement du personnage sinon il y a redondance. Il y a une distanciation au niveau de la bouche. Si on ragarde deprès les vers 9 à 16 il y a dans ce discours d'Acomat des blancs énormes entre chaque vers qui sont les blancs de l'histoire de l'exposition ; on rejoint l'exposition de la mise en scène par la forme, c'est à dire, en notant ces blancs par un temps suspendu. Dans le discourd' Osmin, noter un fading après le vers 24. Il y a là quelque chose à travailler avec la fatigue:

"Mille obstacles divers m'ont même traversés
Et je puis ignorer tout ce qui s'est passé."

Et là on ferme tout. Osmin ne cesse de faire allégeance.

Lundi 6 Mars

Acte II scène V : Bajazet-Atalide
Cette scène est celle de Titus et Bérénice. ( Hommage à Grüber ) Ils sont tous les deux appuyés au cadre de scène , chacun à l'extrémité du plateau. Ils ne peuvent pas se regarder au début, c'est impossible. L'effort de maîtrise est très fort dans cette scène. Il n'y a ni action, ni temps extérieur qui joue. Grande écoute physique. L'attaque de Bajazet c'est un vers plus un vers et entre chaque vers, un silence incroyable et rien d'autre. De toute façon, pour Bajazet la parole est toujours dangereuse. Atalide doit entrer extrêmement lentement, en traînant les pieds peut-être, elle vient s'appuyer au cadre de scène. Eric, tu commences quand tu veux, tu as tout le temps. Il commence par lui dire : "Et ne prolongez pas de dangeureux adieux"mais ils prennent absolument tout leur temps. Isabelle, tu n'as pas intérêt à ce qu'il y est trop de signes extérieurs de la béatitude dans ton jeu. Grüber disait que les acteurs devaient dire mentalement chaque vers avant de parler: "il en restera bien 10% !"A chaque fois qu'il y a le mot CIEL, il y a adresse : c'est le signe d'Atalide.

Cf v761 à 768: "Venez cruel venez je vais vous y conduire..." Atalide est déchaînée; elle a mis le pied dans le cercle des passions. Il faut élargir chaque vers avec une jouissance, une jubilation extrême. Elle est Lucrèce Borgia à ce moment là; ça doit être sale, fort et non raisonnable.

Cf v 775 : "Que vous n'osiez pour moi ce que j'osai pour vous": Le problème n'est pas dans l'espoir de vivre mais dans le devoir de faire vivre l'autre. Oser faire reculer le temps de la mort (qui n'est rien pour eux) dans le temps tragique. La distance tragique est fausse, elle n'existe pas dans les 6 mètres qui vous séparent; elle est mentale! Si le plateau n'est pas le monde, si le public n'est pas l'univers, on est foutu. Dans le travail actuellement, on a intérêt à élargir le vers, même démesurément, en notant les 4 accents, c'est un travail difficile : exemple v 685 "Que Bajazet pût vivre et n'être plus à moi": ça prolonge l'existence de Bajazet, poétiquement bien sûr.

Mardi 7 Mars

Acte II Scène 3 Acomat-Bajazet
La fixité de Bajazet depuis le début est assez étonnante. Là, Acomat le tire vers un autre théâtre. Il y a comme un coup de vent dans l'atmosphère de cette scène, comme un vent de panique. Acomat définit Bajazet: "O courage inflexible, ô trop constante foi ": Ca ne bouge pas! Il ya probablement une certaine admiration de la part d'Acomat pour la vertu de Bajazet.
Dans la scène 1 de l'acte I, Acomat m'apparaît comme un joueur d'echecs, précis, calculateur, maître de lui. Ici, au contraire on perçoit surtout au début, une panique, une précipitation, une forme d'état d'urgence. Pour que cette scène soit entendue, il faut jouer sur la vitesse, sur le sentiment d'urgence.
L'argumentation est très faible. Elle n'est pas réfléchie. Elle ne tient pas. Massage cardiaque- Acomat met en scène des fantasmes de héros. Tous les tableaux défilent jusqu'à la vision du héroe incarnée :
"O courage inflexible O trop constante foi"
MeS : La plaque fait sa révolution ( de jardin à face/proscénium) sur le début de la scène et s'arrête au y: 588"Ille veut Acomat que je l'épouse". Acomat est derrière la plaque - à cour- Bajazet est au même endroit, de l'autre côté de la plaque. Il se déplace sur la plaque en révolution comme s'il était aveugle. Il faut toujours penser le geste, indépendant du vers.
- début de scène à v 588: Rythme trépidant. - v 589 à v 608 : nature différente. vers droit, plus froid. - v 609 à fin

Mercredi 8 mars

Acte I Scène 4 - Atalide

MeS: La plaque est au fond
C'est une jeune fille noble, fluide, une liane blanche , douce et puis c'est un monstre aussi.
Le "Zaïre"est un appel à l'aide. Entre le "Zaïre "d'ouverture et celui de fermeture, quelque chose se passe.
Au premier "Zaïre ", c'est un état de panique. Atalide est dans le noir. C'est très passionnel, très fort : c'est le "Cauchemar d'atalide"! Au deuxième "Zaïre", la lumière vient et qu'est-ce qu'Atalide voit en ouvrant les yeux? Le public ! Son interlocuteur n'est pas Zaïre. Si on gonflait les choses, on allumerait la salle et Atalide raconterait son histoire.
Il y a là une grande simplicité, une grande clarté, une grande objectivité. Et pas de pathos ( ce qui ne veut pas dire qu'il ne se passe rien à l'intérieur d'elle ) . Elle commence objectivement quelque chose et la pensée se déroule. Le corps dit toujours quelque chose de la psychologie. La jalousie d'Atalide peut, par exemple, s'exprimer dans un léger tremblement de la jambe sans que la bouche ne le dise.
Grüber disait que dans la tragédie, ce ne sont pas les personnages qui prennent du temps, ce sont les acteurs.
V 353-385-419 : Le geste qui désigne les "Ciel "d'atalide, c'est le bras. Tu lèves le bras mais c'est un fil enroulé à ton doigt qui élève le doigt, entraîne le bras - sans volonté - le bras levé doit légèrement titubé jusqu'à ce que le doigt aimanté se fixe au ciel. C'est une sensation physique. Tu dis le vers et on coupe le fil !
Exercice: Assises sur un banc l'une en face de l'autre, Bénédicte dit le vers a voix basse et blanc. Isabelle les investit, les fait entendre.

Acte III Scène 1
MeS: La plaque est à la face/proscénium. La situation est bloquée. Derrière, le mariage se prépare. L'acte III est l'acte d'Atalide. A l'acte III la pièce pourrait s'arrêter.

V 793 : "Zaire il est donc vrai sa grâce est prononcée" = Stupeur. Le v 804: "J'ai fait ce que j'ai dû je ne m'en repens pas" est la réponse au v 354 de l'Acte II : "Mais que fallait-il donc Zaire que je fisse ". Il est difficile pour Atalide de commencer l'Acte III. Le problème du "dire" est évident: "et ne t'a-t-on point dit...Ou pour mieux dire enfin..." Atalide éprouve une difficulté certaine à parler, comme si sa sa machoire était ankilosée. Il faut travailler sur l'abandon de la machoire. Plus le temps passe, plus ça se dégrade. Atalide va chercher quelque chose dans le regard de Zaire.
V 817 à v 828 : C'est la folie d'Atalide. Elle parle à ses sentiments jaloux qui sont comme des petits lutins qui tournent autour d'elle. Ils sont personnifiés, Atalide règne sur eux. Elle édicte des lois: "Respectez ma vertu"..."Laissez- moi"..
Après le v 830 : "j'ai cédé mon amant tu t'étonnes du reste", Atalide craque, elle ne peux plus se battre.

Jeudi 9 Mars

Acte III Scène 2 - Acomat-Atalide
- MeS: La plaque est face-Proscénium.

Acomat ne fait pas la cour à Atalide, il vient chercher son dû. Elle est son "cadeau" et il l'exprime très clairement :
V 854 "Cependant permettez que je vous renouvelle le souvenir du prix qu'on promit à mon zèle". Cette scène est absolument cruelle voire sadique. Acomat ne sait pas qu'il est en train de démolir Atalide en lui annonçant avec joie les épousailles de Roxane et Bajazet.
Tous les personnages sont des interprètes de signes. Ils fonctionnent très fort sur la subjectivité. Ce qui m'interesse beaucoup ce sont les visions qu'ont ces personnages. Le récit d'Acomat de l'entretien de Roxane et Bajazet ne peut objectivement s'être passé ainsi. J'ai peut-être déjà dit que le pouvoir du Sultan s'incarnait dans deux choses qui sont
1) la lettre
2) le regard et pas par la parole.
Dans cet univers extrêmement silencieux, on entend parfois un cri très fort. Je vous lis juste ce passage éloquent où l'inconcevable pouvoir du Sultan saute aux yeux :

"Le roi donne un ordre par écrit d'aller aveugler tel enfant et cet ordre se donne au premier venu (...) L'ordre porté dans le sérail est bientôt compris, et il y excite des pleurs et des cris; mais enfin il faut laisser aller l'enfant. Les Eunuques l'amènent au cruel messager, qui leur jette l'ordre ou, comme vous diriez, la lettre de Cachet, et puis se mettant en terre, il saisit l'enfant, l'étend de son long sur ses genoux, le visage tourné en haut, en lui serrant la tête du bras gauche. Puis, d'une main, il lui ouvre la paupière, et de l'autre il prend son poignard par la pointe, et tire les prunelles l'une paprès l'autre, entières, et sans les gâter, comme on fait d'un cerneau. Il les met en son mouchoir et va les porter au Roi. "( Chardin, Voyages en perse, 1686).

Dans l'univers Shakespearien, Acomat arriverait avec tambours et trompettes pour annoncer cette terrible nouvelle pour Atalide. Mais, là, au contraire, je pense que c'est tout petit. Acomat est un personnage comique. Il a tout prévu mais il a tout faux. C'est un tueur ! Par le mariage avec Atalide, Acomat peut devenir légitimement noble. Mais son plan ou projet politique ne peut pas s'arrêter là malgré qu'il ne soit pas dit dans la pièce !

MeS : Atalide se tient à jardin, Acomat arrive de derrière la plaque à cour ( Toutes les entrées se font ainsi , exception faite pour Zatime qui, pour l'instant du moins, ne devrait jamais franchir entièrement la plaque). Acomat arrive et s'appuie sur la plaque, éventail à la main;
au v 848: "Du prophète divin l'étendard redouté" l'éventail se déploie sur la plaque.
Après le v 852: "Et proclamer enfin le nouvel empereur", il se déplace vers Atalide qui regarde le public;
Du v 853 à 860, il lui souffle à l'oreille sa demande, éventail déployé entre eux .
V 860-861 : Atalide est face public.
V 862: Elle se tourne entièrement vers lui.
À partir du v 868: "Voici tout ce qui vient d'arriver devant moi", Acomat s'éloigne d'Atalide pour raconter ce qui s'est passé. À partir du v 889: Acomat revient très près d'Atalide.
V 871 à 888: Effet de Zoom. Étirement. Fonctionnement en boucle du discours d'Acomat sur le mot "Enfin"( V 843- 885 - puis conclusion : v 900: "Je vais le couronner madame et j'en réponds"). Noter toute une rhétorique de l'allégeance chez Acomat :
V 858: -"Par de profonds respects par un long esclavage "
V 883: - "Et respectant de loin leur secret entretien "
V 889: - "Et m'acquitter vers vous de mes respects profonds". Le vers trace un chemin ( ici en boucle ) une musique qu'il nous faut écouter, qu'il nous faire entendre. (Jean Dautremay: "Grüber disait aux comédiens de Berenice : "Ecoute Mozarte et rentre chez toi ! ") La scène 3 de l'Acte III se traite dans le blanchiement, au-delà de la douleur; C'est entre les vers que ça phosphore!

Acte III Scène 4: "IN VITUS IN VITAM DIMIZIT "( Malgré lui, malgré elle )
Bajazet est la pièce de l' "Enfin", "Bérénice", celle du "Hélas"! Atalide dans cette scène se tient dans un cercle auréolé ( à jardin ) mais il ne faut pas que tu joues la Madone. Elle est toute seule. Evite de regarder le ciel, c'est à l'intérieur de soi; elle est à l'intérieur d'elle-même.
"Non seigneur" c'est comme chez Duras, plus le Oui est OUI et plus le Non est NON, plus ça s'inverse: ça l'ouvre!

Vendredi 10 Mars

Acte II Scène 5 - Bajazet-Atalide
On va retravailler cette scène plus en détail.
Il faut savoir poser des questions neutres, je pense aux répliques d'Atalide!
( Les trois quarts du temps, au théâtre, les réponses sont contenues dans les questions - faire attention aux accents ).
Tu poses la question à Madame Pompidou qui est dans la salle ! On va déployer la réthorique inventée sur les "AH", "PEUT-ETRE", "ENFIN","Ô", "HELAS"....ce sont et la rhétorique et le lieu de la tragédie, concentré.
V 703-708: On n'échappe pas à son destin, Atalide en est convaincu ( elle a un côté très janséniste) contrairement à Roxane: son destin c'est elle-même.
V 761-768: "Venez cruel venez je vais vous y conduire"...Elle est quasi-indécente à ce moment là; elle est forte et surtout outragée. Ce qui compte c'est de faire du bruit ; ne pas penser au sens mais à clamer aux yeux du monde l'outrage que tu ressens; tu fais littéralement outrage à la raison. Tu dois trouver une jubilation extrême à faire ça. Les cris, quand ils sont psychologiques sont absolument épouvantables, pour tout le monde, acteurs et spectateurs compris.
Ses hurlements sont aussi une transgression des lois du sérail régi par la loi du silence. Donc, ils doivent résonner d'une manière incroyable et ça fait un effet de choc sur Bajazet interloqué: "Ô ciel que faites-vous", c'est tout ce qu'il peut dire - ne pas oublier que son problème à lui, c'est la parole - et d'un coup il voit le déchaînement d'Atalide. Et quand il dit "Mais quels discours faut-il que je lui tienne", il ne sait pas, vraiment pas quoi dire.
Pour obtenir quelque chose, Atalide fait cette chose incroyable qui s'incarne dans ce déchaînement; c'est sa jalousie qui la pousse; elle lui dit quand même qu'elle préfèrerait le voit mort plutôt qu'il ne soit pas à elle :
V 683 à 688:
"Il est vrai je n'ai pu concevoir sans effroi
Que Bajazet pût vivre et n'être plus à moi.
Et lorsque quelquefois de ma rivale heureuse,
Je me représentais l'image douloureuse
Votre mort ( pardonnez aux fureurs des amants)
Ne me paraissait pas le plus grand des tourments"

Les "Venez, venez " des v 761 sont égaux aux "allez,allez" des v 789. La tragédie c'est beau quand c'est bloqué!

Il faut profiter du vers. Être dans le vers. Quand on ne comprend pas un vers, on ne devrait pas pouvoir dire le suivant; il faut bien aussi saisir ce problème de l'alternativité. Pour que ce soit vivant à l'intérieur il faut tenter la chose et son contraire. Il faut lire, lire et relire encore le texte.
Tout est dans le texte.

Samedi 11 Mars Acte I Scène 1 - Acomat-Osmin

MeS: Les deux personnages se trouvent devant la guillotine baissée. les cinq premiers vers de la pièce sont fondamentaux : ils posent l'univers dans lequel on va être pendant toute la pièce; c'est le "là" théâtral, architectural ! Le deuxième vers est la définition du théâtre même:
"Je pourrai cependant te parler et t'entendre" Mais il ne faut pas perdre de vue qu'il est très dangeureux de parler dans cet espace sinon on va finir par faire du théâtre comme dans un salon bourgeois ! Donc, étirement du vers au maximum, faire entendre le vers, les féminines et les masculines. Cette exposition est longue et informative, on doit absolument tout entendre sinon le spectateur ne comprendra rien.
Ce sont des comploteurs, des tueurs silencieux.
"J'ai su lui préparer des craintes et des veilles
Et le bruit en ira bientôt à ses oreilles"
  = t-t-t-t-t tintement, univers sonore du complot.
(Ils ne sont pas les seuls à comploter, cf v 145-148) les 8 premiers vers seront probablement dits dans le noir absolu avec une forte résonnance; puis à partir du 9ème: "Que ton retour tardait à mon impatience", la lumière apparaît et c'est Acomat, metteur en scène qui prend la relève.
Là, où Acomat est fascinant c'est dans la manipulation des inconscients. C'est un levantin!. Ce n'est pas son côté "vieux général" de l'armée qui m'intéresse vraiment mais celui du metteur en scène des passions d'où émergera l'amour.

V 96-97 : "J'espère qu'aujourd'hui Bajazet se déclare et Roxane avec lui": c'est le générique de la scène - au présent. Tous les couples mythiques, "Roméo et Juliette", "Titus et Bérénice"...
V 97 à 102: C'est ronsard, l'élégie féminine, les effluves du parfum oriental !
V 115: "Car enfin Bajazet dédaigna de tout temps la molle oisiveté des enfants des sultans..." jusqu'au v 122: Bajazet est le poulain d'Acomat c'est pourquoi il le défend, cela dit , je ne peux m'empêcher d'y voir aussi la défense de RACINE par rapport au public du XVII: pour qu'il soit digne d'être un héros il fallait au moins qu'il se soit distingué autrefois par ses exploits guerriers, sa valeur, son courage parce que dans le présent de cette pièce Bajazet n'est que le prisonnier d'une femme, Julien Gracq dit "qu'il lui fait penser à la chicorée qu'on fait blanchir dans les caves" c'est dire !
Fin de la tirade d'Acomat:
"Et mais on vient c'est elle et sa chère Atalide
Demeure et s'il le faut soit prêt à confirmer
Le récit important dont je vais l'informer"

C'est une ouverture. Acomat est dos au public, devant la guillotine qui se lève , tel un tableau de Gaspard Friedrich.

Lundi 13 Mars

Acte II Scène 1 - Bajazet-Roxane
Je pense qu'il faut partir du silence, ne pas projeter et entrer dans chaque chose; créer et maintenir la tension. Il faut se retenir dans cette espèce de logorrhée.
V 439 "Commencez maintenant c'est à vous de courir"
V 445 "Mais pour mieux commencer hâtons-nous l'un et l'autre" Ça n'en finit pas de ne pas commencer.
V 451 "Hé quoi Seigneur" C'est chaotique, ce n'est pas la raison qui la guide; là c'est comme un réveil ; Roxane a un inconscient formidable : "Quel obstacle secret trouble notre bonheur", obstacle secret : elle sent les choses par en dessous. Il est important de bien savoir poser les questions. On n'entend jamais les questions dans la tragédie ! Jusqu'au v 521, ils sont chacun dans leur bulle; les adresses sont fantasmatiques; Roxane nous fait du cinémascope
V 455: "Oui je sais que depuis qu'un de vos empereurs
Bajazet d'un barbare éprouvant les fureurs
Vit au char du vainqueur son épouse enchaînée"

Bajazet aussi : v 472:
"Ce qu'était Soliman et le peu que je suis Soliman jouissait d'une pleine puissance
L'Egypte... "
Tout ce passage doit être pris par le haut, tu peux pour t'aider tenir ton texte en l'air. Tu fais du désert ! Puis à partir du V 521, l'espace théâtral devient un ring: 6 mètres sur 6 mètres.
MeS :V 525: Roxane est en devant de scène. Sur le "ah" du v 529, déplacement pour rejoindre Bajazet en suivant le décaissé et ensuite "je vois", là c'est très près, elle voit à l'intérieur de ses prunelles.

Dès que Roxane apparaît, elle est déjà dans son obsession; elle se déplace d'une façon extrêmement lente comme si elle était seule dans ses pensées. Ces gens sont asphyxiés; ils se soufflent les uns sur les autres pour prolonger la vie. Tout tient dans la respiration.
V 513 à 521:
"Oui je tient tout de vous et j'avais lieu de croire
Que c'était pour vous-même une assez grande gloire
En voyant devant moi tout l'empire à genoux
De m'entendre avouer que je tient tout de vous
Je ne m'en défends point ma bouche le confesse
Et mon respect saura le confirmer sans cesse
Je vous dois tout mon sang ma vie est votre bien
Mais enfin voulez-vous"

: Il faut travailler musicalement, en dehors du sens. Le présent est toujours très concret. L'imparfait, c'est derrière. Le futur, c'est projeté en avant.
V 521 "Non je ne veux plus rien": Présent. Annulation de l'espace. Roxane casse le code, la représentation.
V 525 à 528 : C'est adressé au dernier spectateur du dernier rang.
Les "Seigneur", "Madame"...sont toujours terribles. Il faut les squizzer !

Mardi 14 Mars

Acte I Scène 3 - Roxane -Atalide

Mes : La plaque est au fond.

C'est une scène d'intimité féminine dans le harem. Roxane est fixe et déterminée mais ça travaille à l'intérieur, à l'intérieur, c'est tendu, c'est dangereux.ça joue avec le corps ; je pense à ces personnes qui font du karaté, ils sont d'un calme absolu, le corps est tendu, à l'écoute et d'un coup de main ou de pied, qu'on ne voit pas partir, ils peuvent tuer quelqu 'un.
Penses au Naja !
La folie d'Atalide doit être à la hauteur de son mensonge qui doit être à la hauteur de son cauchemar ( sc 4).
On doit se tromper sur le compte d'Atalide dès cette scène.
Chez Roxane, rien ne bouge. Elle est au début dans le plaisir du rituel de savoir si Bajazet l'aime. Roxane ne cesse de tourner en rond; on peux essayer en tournant; il y a quelque chose d'extrêment sensuel et physique, un érotisme assez dingue chez elle: "Du trouble de son coeur jouissant par avance" (v:278).
À  l'intérieur, il y a un désir fou; C'est la passion qui la tire. Elle aime le goût du sang!
Au bout du vers il y a un précipice et tu dois trouver l'imaginaire qui va te permettre de dire le vers suivant. Il ne faut mettre aucune intention dans le vers, sinon on suit le raisonnement de chaque personnage et ce n'est pas intéressant.
Roxane est comme un animal qui revient perpétuellement sur les traces de son désir ; il y a un sentiment très particulier à l'intérieur de cette femme qui cherche le danger. Ce n'est pas juste le pouvoir qu'elle veut, ça n'a pas de sens. De toute façon, elle l'a déjà ! Elle découvre l'inconnu qui l'anime, quelque chose qui a à voir avec sa perversion. Ce sont des désirs érotiques qui l'agitent.

Mercredi 15 Mars

Acte III Scène 8 - Roxane-Zatime
MeS: La plaque est face/ proscénium . Roxane est à jardin. Zatime apparaît de derrière la plaque; apparition de la main, puis du visage.

On ne peut pas savoir quelle est la psychologie de Zatime. Zatime, c'est une fonction. Elle n'est ni pour, ni contre Roxane. Je pense comme jouvet qu'il n'y a pas dans la tragédie de petits personnages. Le mot de la fin de la pièce revient à Zaïre. L'importance de la nouvelle qu'apporte Zatime (elle nous annonce l'arrivée d'Orcande l'Ankou!) ne peut être mise dans le vers mais dans les petits temps après les "Mais"; le "Mais" est le signe de Zatime. C'est dans ces petits temps-trappe que l'on peut glisser et faire disparaître la psychologie. Dans l'univers despotique du Sérail, chacun peut-être à tout moment investit du devoir de tuer n'importe qui. Il faut donc bien comprendre que chaque être est sous influence. Personne n'échappe à la menace probable. Par conséquent, ces personnages ne peuvent pas parler normalement.
Il faut tenir le vers ; l'alexandrin est une forme parfaite; ces vers sont comme des petites fugues de Bach.
V 1102: "Orcan": C'est très fort, c'est là où peut s'exprimer la passion, la tragédie ; ici c'est hiroshima ! ( après son passage , il ne restera plus grand chose).
C'est formidable, chaque vers est une histoire à part entière.
Le v 1108 résume tout ce qui se passe dans ce lieu: "Dans votre appartement j'ai retenu ses pas": On retient et on lâche d'un coup.
À partir du v 1116 environ, la guillotine descend sur le monologue de Roxane. Et c'est l'entracte ! ( travail sur le plateau de l'Acte IV Sc l et 5 sur le jeu de la lettre)

jeudi 16 Mars Acte IV Scène 6 - Roxane-Acomat

MeS: La plaque est au fond. Roxane est à jardin . Acomat arrive de derrière la plaque à cour. La lettre est au centre du plateau.

L'Acte IV est celui de la précipitation, des coups de théâtre sur coups de théâtre.
Après la fureur des scènes précédentes, on retrouve le silence du sérail. Roxane est dans la projection du plaisir incroyable qu'elle va prendre pour se venger de Bajazet; quelque chose d'un peu Hypnotique.
Après la souffrance terrible qu'elle vient d'éprouver à la scène précédente, elle est maintenant dans la sublimation de sa douleur.
Acomat vient aiguillonner Roxane. Le coup de théâtre est sur le v 1341:
"Oui vous serez content je vais me déclarer"
En ne le jouant pas sur le sens on s'offre la possibilité de retarder le coup de théâtre.
Acomat et Roxane apparaissent comme un vieux couple, assez misérable: "Ils nous trompaient tous deux"; Le point aveugle d'Acomat est levé en pleine lumière, preuve à l'appui; Ils deviennent assez touchants, ceux qui semblaient les plus forts . 
Temps sur la lettre. ( Jean Dautremay: à la générale du "Bal masqué" à la comédie française, Jean luc Boutté devait aller chercher une lettre dans le carosse ; Vassiliev lui avait demandé de faire durer le silence jusqu'à ce qu'il y ait une réaction dans le public; le silence a duré 5 mn, ce qui est énorme au théâtre; un spectateur n'en pouvant plus s'écria: "On entend péter les mouches ici !" )
Acomat, c'est une fonction plus qu'un personnage. Il a presque une fonction dramaturgique pure.

Vendredi 17 Mars Acte V Scène 4 - Bajazet-Roxane

MeS: La plaque est à jardin. Depuis l'Acte IV Scène 6, Roxane tient la lettre d'amour de Bajazet sur son coeur.
L'acte V est celui de la solitude. Scène sur l'attente. Atmosphère très calme. Dans une mise en scène naturaliste, ce serait un jour pluvieux avec une lumière bleutée se reflétant sur les toits gris luisants. Une femme est là , en manteau ; il n'y a plus de passion. Quelque chose a été brisé à jamais. Il y a une sorte de lassitude aussi, de fatigue.
C'est une scène de fin d'amour. Quand on sait que plus rien n'est possible. Et puis il va parler, parler... Tout le monde est prêt à partir; c'est fini. Elle a déjà boutonné son manteau. Roxane commence en personnage durassien. Elle est d'une grande dignité, d'une grande sincérité, désabusée un peu.
Sa première tirade est teintée de l'immensité de sa douleur intérieure. Elle doit pleurer mais rien n'apparaît !
1544-45: "Ma rivale est ici suis-moi sans différer
Dans les mains des muets viens la voir expirer":

Roxane est condamnée à être cruelle!

Samedi 18 Mars

Acte V Scène 1

MeS: La plaque est au fond.
On ne s'en sortait pas hier, parce qu'on est tombé dans le piège ; on s'est heurté à des habitudes culturelles; on a lu psychologique, on voulait absolument qu'ils jouent ensemble ( Roxane et Bajazet) et ça ne pouvait pas marcher. Il y a un nombre indescriptible d'études sur RACINE:  dramaturgiques, psychologiques, psychanalitiques, historiques, biographiques, estéthiques...mais ce qui m'intérresse c'est la poésie, la musique du vers. Il faut rester fidèle aux principes qu'on a élaboré depuis le début.
Il y a 1749 vers dans cette tragédie et le principe est de dire un vers plus un vers jusqu'à la fin et c'est tout.

Pour les costumes, c'est la même chose; on n'y arrivait pas parce qu'on essayait de traiter chaque personnage d'une façon différente; mais ils sont tous pareils; ils auront tous les mêmes manteaux. Seul l'intérieur, ce qu'ils portent en-dessous sera traité différemment, suivant leur caractère, leur fonction. Chacun d'eux possède un signe qui lui est propre et qui est décliné dans le langage, le geste, dans l'apparat vestimentaire, dans le maquillage. Le signe d'Atalide, par exemple, est marqué sur le vers, par les "peut-être", sur la gestuelle, par une indication au ciel, pour Acomat, c'est "Amurat", l'éventail etc...Les maquillages n'ont pas encore été étudiés dans le détail mais globalement on peut dire, sachant que les trois premiers actes se font sur la notion du Regard ( et de l'aveuglement) et les deux derniers sur la Lettre qui devient le moteur de l'action, que le maquillage va subir une variante considérable à partir de l'acte IV ; j'imagine des regards de taupe, ou des traits en guise d'yeux , quelque chose comme ça dans un premier temps et dans un second des maquillages qui se délitent, qui coulent, qui se décomposent. On retrouve bien dans la structure de la pièce, ces deux éléments qui sont les attributs d'Amurat à savoir la lettre et le regard qui nous permettent de signifier théâtralement l'omniprésence du Sultan. ces personnages sont tous les mêmes dans le sens où ils sont tous à la même enseigne, tous dans la même prison, soumis de la même façon à un pouvoir qui est au-dessus d'eux et qui a droit de vie et de mort sur leur personne.
Traiter chaque personnage comme une entité à part entière, c'est oublier qu'aucun d'eux n'est libre.
La scénographie le dit : cette plaque a un intérieur et un extérieur; c'est comme une pierre dans un jardin: l'extérieur subit l'érosion du temps, du vent, de la pluie et lorsque l'on retourne cette pierre, elle n'a pas la même couleur , elle est teintée par l'humidité de la terre, elle n'a pas la même chaleur ni la même odeur; elle a sa vie intérieur, son organisation intérieure: et que découvre-t-on lorsque l'on retourne cette pierre : des vers blancs ! ( quand je dis qu'il faut blanchir le vers de RACINE !, en fait pour comprendre RACINE, il faut se promener dans les jardins.) Des vers blancs qui grouillent et s'affolent quand ils voient le ciel à l'air libre. Sous chaque pierre de chaque jardin vous avez la métaphore du sérail.

Acte V Scène 1

Ce monologue d'Atalide est absolument magnifique. Elle est seule et cherche la lettre disparue. Je ne peux m'empêcher de penser à ce passage des "Noces"de Mozart où Barberine a perdu l'épingle qu'elle devait rapporter à Suzanne de la part du Comte et la cherche dans l'obscurité :
"L'ho perduta, me meschina ! Ah, chi sa dove sarà. Non la trovo E mia cugina, e il padron. Cosa dirà, cosà dirà? " C'est exactement ça :
V 1430/31: "Hélas je cherche en vain rien ne s'offre à ma vue
Malheureuse comment puis-je l'avoir perdue
"
Je ne sais pas si elle est dans l'obscurité, mais elle est de toute façon aveuglée par sa propre panique. Elle est à l'intérieur du carré des passions et depuis qu'elle est tombée dans cet espace, elle ne pourra plus en sortir vivante. On peut imaginer dans cette scène qu'elle tourne sans arrêt à l'intérieur du carré ; la panique se fait grandissante, elle cherche partout, sous la plinthe de la plaque, la moindre écharde du plancher devient l'espace blanc de la lettre; elle tourne, se heurte sans cesse au butoir du décaissé comme si elle s'élançait sur un mur visible pour nous, invisible pour elle. Le spectateur ne sait absolument pas ce qu'elle est en train de faire.
Tu peux même chantonner l'air des "Noces" sur cette errance, sur le "Hélas" ou bien entre les vers, à ta libre interprétation.
"J'étais en ce lieu même et ma timide main
Quand Roxane a paru l'a cachée en mon sein..."

À partir de là ( y 1436) elle refait le parcours pour elle-même ; elle essaye de se remémorer, de rééprouver ce qui s'est passé:
"Et ma timide main": elle l'a montre au public ( elle est face-public)
"...l'a cachée en mon sein": elle fait de nouveau le geste.
"...un ordre m'a troublée": elle amorce l'évanouissement.
Tu peux répéter ces gestes, mais ils doivent être volontaires.
Le "Ah" (v 1449) peut être le même que celui de Hélène Wiegel dans "Mère Courage" quand on lui demande de reconnaître un cadavre qui n'est autre que celui de son fils ; elle ne sait évidemment pas que son fils est mort. Hélène Wiegel a montré toute la douleur possible dans l'expression du "Ah" sans qu'aucun bruit ne sorte de sa bouche. Un effroyable cri sans son.

Acte V Scène 2
Roxane arrive de fond / cour en ligne droite jusqu'à l'avant-scène. Tu fais place nette: "retirez-vous": c'est une entrée; c'est fort vocalement.
Tout est dit sur le même ton. Tu ne regardes pas Atalide. Arrivée en avant-scène, tu regardes Madame Pompidou!
Pendant ce temps, Atalide qui est au pied de la plaque à Jardin ( le lieu même de son évanouissement ( IV-3)) se retire à quatre-pattes derrière la plaque.

Acte V Scène 6
La plaque est à face/Proscénium. Roxane se tient à Plaque jardin, face public; Atalide arrive à plaque-cour.
V 1577 : elle se met à genoux et avance vers Roxane; elle reste à genoux jusqu'à la fin de la scène. Elle peut marquer un temps d'arrêt à "Ciel" (v 1590), à "Jalouse" (v 1596); à "avenir", elle peut sentir une écharde lui entrer dans le genoux. Ce qui est très important c'est qu'elle s'approche très près de Roxane, car celle-ci tient la lettre!
On a donc deux éléments importants : L'allégeance et la Lettre.

Rien ne doit être fait sur la plainte. Tout ce que dit Atalide est vrai. Elle dit, en fait, qu'elle est arrivée la première auprès de Bajazet ; sans cela il aurait très bien aimé Roxane - Sentiment de Jalousie encore existant dans cette scène.

1) Touver quelque chose sur le corps pour Atalide
2) Trouver quelque chose sur la lettre.

Mardi 21 Mars

Acte I scène 1 - Acomat-Osmin. ( Devant la guillotine baissée)
J'entends les premiers vers comme un son cinéma. Ils sont tous les deux, nous aussi d'ailleurs ( le public) dans le noir. Ils chuchotent mais dans un micro, donc forte résonnance. L'effet du cinéma au théâtre ne peut se faire que sur le son. Une voix très haute suivie de la même voix très basse provoque un effet de zoom ; il oblige l'attention du spectateur.
J'imagine une faible lumière avec un filament minable qui vibre. Tous les gestes doivent être dissociés; comme un joueur de cornemuse : d'un côté il y a la respiration, de l'autre, le jeu. Autre forme de dissociation : parler lentement et marcher vite.

On a eu , la dernière fois avec Isabelle un bel exemple de distanciation; C'est dans la scène 1 de l'Acte V quand elle cherche la lettre qu'elle avait cachée dans son sein et que Zatime a volée pendant son évanouissement. Elle a essayée de se remémorer par le geste (main, sein, trouble) les gestes qu'elle avait fait dans l'action immédiate. Elle refait le parcours, elle revient sur les traces pour se souvenir, se remémorer ce qui s'est passé à ce moment-là. C'est juste poétiquement parce qu'elle est perdue. C'est quelque chose qui m'arrive souvent : aller dans une pièce, ne plus savoir pourquoi j'y suis venu et refaire le parcours.
( Jean Dautremay : Cette histoire de parcours c'est aussi l'histoire de la fabrication du théâtre; je mets en scène "l'Echange"de Claudel en ce moment et je regardais cette espèce de carré (le plateau) et je me disais qu'est-ce qu'on fait d'autre depuis des siècles, que traçer des chemins, des parcours sur ce même carré)
J'aime à citer cette phrase de Peter Hanke dans "Le non-sens et le bonheur", dans une partie qui s'appelle "Poème bleue", il fait une sorte de comptabilité très fine de plein de petits gestes quotidiens, de tous ces petits moments qui touchent à la métaphysique et il dit qu'il marchait dans la rue et "soudain entre deux pas j'ai perdu le sens", il va dans la cuisine et "soudain en appuyant sur la pédale de la poubelle, j'ai perdu le sens". C'est comme ça que je travaille et que j'ai envie de travailler ; il faut être à l'affût de toutes ces petites choses ; c'est ce qui m'intéresse: entre deux vers qu'est-ce qu'il se passe? C'est une parenthèse, une histoire d'intervalle qui se passe entre le premier vers et le 1749ème vers !

Acomat c'est Zébulon, il peut sortir de partout ! Dans la scène 1, le son est avant la lumière.
V 1= c'est le son
V 9 = apparition de la lumière
V 8 = vers de transition. C'est "entre".
À partir du v 9 = c'est une autre scène qui commence par un geste; le geste du salut ( avec l'éventail) comme le geste ( toujours avec l'éventail) à la fin de la scène qui fait monter la guillotine - sinon elle ne monte pas- Il faut laisser l'alexandrin tranquille; dès que l'on met quelque chose de l'ordre de l'interprétation dans le vers on ne l'entend plus. C'est comme ça, on n'y peut rien ; Éric Ruf me disait l'autre jour : "Je fais ce que tu me dis de faire mais je ne comprends rien à ce que je fais !"Il n'empêche que lorsqu'il joue le vers, je ne l'entends pas et lorsqu'il le fait technique, je l'entends!

C'est un pari presque impossible de monter la tragédie aujourd'hui. Ce qui compte c'est de travailler le théâtre, de montrer des solutions, de retourner sur les traces, mais pas de résoudre l'énigme. Toutes les clefs de notre réthorique vont être données dans cette première scène.
La première marque de la tragédie est là : sur le v 75/76 :

"Tel était son dessein cet esclave est venu
Il a montré son ordre et n'a rien obtenu"

Le premier coup est donné - ( Dans une mise en scène vulgaire, on pourrait donner un gros coup de gong sur la plaque) Acomat v 83 "Peut-être avant ce temps"= comme le texte l'indique, tu as tout le temps que tu veux ; tu peux même le changer tous les soirs.
Ensuite tu le rejoins au centre du proscénium, vous êtes ensemble mais vous ne vous regardez pas. Ce n'est pas parce que les acteurs se regardent dans le blanc des yeux qu'ils se parlent mieux. C'est l'écoute qui compte.

(Jean: Je regardais les films avec Jouvet l'autre jour et je remarquais qu'il ne regarde jamais ses partenaires quand ils leur parle) ( Jean: Je regardais hier soir "Le cercle de minuit"et j'ai été fasciné par deux types "Gilbert and Georges", deux homosexuels anglais, issus du Pop Art qui font avec leur propre corps des sculptures vivantes ; ils sont habillés "city"avec des chapeaux melon, l'un tient une canne avec un pommeau vert, l'autre, un gant et ils tournent très lentement sur eux-même, on ne voit pas leurs pieds bouger et on a l'impression que c'est nous qui tournont autour d'eux ).
Et bien là, c'est pareil, ils sont ensemble; du v 146 à 168 : ce sont Gilbert and Georges ou des derviches tourneurs au ralenti. Acomat et Osmin: l'homme de l'intérieur et l'homme de l'extérieur; ils sont à égalité, habillés d'un même manteau qui leur couvre les pieds ce sont deux fonctions dramaturgiques dont on a besoin.

Notes:

Entrée: La guillotine est baissée; Acomat entre par la porte à cour; Osmin par la porte à jardin. •   
v 1 à 7: voix off
v 8 : Acomat entre. Geste avec l'éventail comme une intuition du salut ( il est seul); ce vers est vocalement faible ( ="discours superflus"). Ce qui est incroyable, c'est ce personnage seul en scène avec cet éventail à la main (!)
v 9 : Osmin apparaît à jardin; il avance comme s'il marchait sur un fil, la main droite levée devant ses yeux, aveuglé, jusqu'au centre du proscénium.
v 10 : Il s'arrête; se tourne face public, bras levé.
v 17 à 24 : C'est fort vocalement. Il s'adresse aux spectateurs du fond comme si Acomat était parmi eux.
v 25: Il se retourne très doucement contre la plaque et s'arrête au v 28.
v 58: Osmin lève le bras à "destinées"et le baisse au v 68: il efface tout d'un geste large. il quitte le rapport frontal pour aller à jardin, décontracté.
v 75 et 79 : rires d'Acomat.
v 83 : Acomat va au centre du proscénium.
v 97 : Osmin le rejoint.
v 97 à 102 : Ronsard; élégie, c'est très féminin. Jouer le parfum oriental 
v 105 : Acomat vient sur la passerelle, s'accroupit au v 109 = conteur oriental
v 123 : Il se relève.
v 129 : Il recule jusqu' Osmin.
v 145 : Osmin, main sur la plaque, légèrement de profil, les yeux baissés: tu joues avec le plancher; tu ne peux pas regrader Acomat ; on ne doit pas savoir ce que pense ce personnage, juste sentir qu'il se sent prisonnier, ou coincé.
v 156 : Tourniquet ( Acomat)
v 168 : Acomat tourne la tête vers le public.
v 169 à 174: Arrêt du tourniquet; face public ou fort vocalement.
v 175 : Tourniquet (?)
v 182 : Osmin va à jardin.
v 188 : Acomat le rejoint en s'éventant - impression du danger.
v 189 : Acomat très proche d'Osmin.
v 194 : Il déploit l'éventail sous la gorge d'Osmin.
v 197 : Promenade vers cour, passerelle.
v  201 : Acomat se retourne vers la plaque
v 202 : Promenade vers cour suivi d'osmin puis retour vers jardin .
v 212 : Acomat brandit son éventail sur la levée de la guillotine.