Écrire sur LA PLUIE D'ÉTÉ · Éric Vigner · PLUIE D'ÉTÉ

Écrire sur LA PLUIE D'ÉTÉ · Éric Vigner · PLUIE D'ÉTÉ
LA PLUIE D'ÉTÉ : un théâtre manifeste
Note d’intention & entretien
Éric Vigner
1993
Compagnie Suzanne M. Éric Vigner
Langue: Français
Tous droits réservés

Écrire sur LA PLUIE D'ÉTÉ. Ce pourrait être prendre le ton universitaire pour mettre à jour la pertinence d'un propos sur notre existence contemporaine. Que ne faudrait-il pas dire sur le savoir, le rapport à l'histoire et à sa transmission, sur la souffrance du grand écart où nous nous situons à choisir constamment entre le désespoir de la perte de notre héritage, son intransmissibilité, la fin d'un monde, le monde raté et l'espoir du monde qui s'ouvre. Décrypter, mettre à jour avec des mots savants cette grande rupture, cette entrée dans une société à jamais ouverte, indéchiffrable, inaliénable à son passé comme à son futur. Indéterminée. Radicalement. Dire également l'indépassable Holocauste. L'inhumanité de l'homme. L'indispensable douleur de maintenir visible la plaie béante de l'Immonde mécanisé.

Tout est là dans LA PLUIE D'ÉTÉ, et il ne manquera pas à l'avenir d'intelligences pour interprèter, chercher à comprendre, donner à voir par des mots sans pouvoir, comment une femme, MARGUERITE DURAS, a pu sédimenter là les couches de notre fin de siècle. Ils ne manqueront pas ces professeurs, je vous le dis. Ces professeurs forts en thème, en concepts, ces travailleurs sinistres et laborieux. MORVAN LEBESQUE en 1953 dans un article de Théâtre Populaire mettait déjà en garde contre cette abominable confusion des valeurs qui, plus que jamais, remplace la réalité par l'apparence et l'Esprit par la lettre, cette confusion qui nous fait prendre des professeurs pour des artistes. Et il ajoutait, il est grand temps qu'elle cède du terrain et que le théâtre, en particulier, soit rendu à ses véritables possesseurs, les poètes.

Faut-il alors souligner encore l'importance considérable de la phrase d'Ernesto: "je retournerai plus à l'école parce que à l'école on m'apprend des choses que je ne sais pas" ? Mieux vaut sans doute dire qu'ici la poésie rencontre la poésie, et si ce mot au combien dévoyé fait encore sens, que ce théâtre est manifeste, mais dire à quel point ça on peut pas, je peux pas dire comment je l'comprends...si c'est la bonne manière...mais quelque chose il m'semble que je comprends quand même, oui.

Et dire qu'ici on a affaire à des passeurs, des passeurs de contrebande, de vent, d'Amour. Rien n'est donné, mais tout est à prendre, offert, mais non sans exigence. De cette exigence qui fait que le théâtre s'adresse à des individus, cette exigence qui fait que l'intelligence est poésie et la poésie intelligence. Sans effet, sans redondance, tout en contrepoint, une mise en théâtre qui ouvre des espaces aux yeux et à l'Amour. Des espaces et des lieux parce que les lieux aussi sont à réinventer, un théâtre de patronage dans un quartier ouvrier, un théâtre à l'italienne jamais achevé. Une Scala bombardée ? "Je ne sais pas si l'existence précède l'essence mais en revanche, je suis bien sûr que le tréteau précède le poète".

Dire encore qu'il s'agit d'immigrés, de la vallée du Pô, et de l'Ukraine ou quelque part par là, d'enfants parce qu'il faut sauver les enfants. Dire, Dire et puis cesser, écouter Ernesto dire le livre brulé; Nous sommes des Héros disait le Roi. Tous les hommes sont des héros. C'est lui le fils de David, le roi de Jérusalem. Celui de la poursuite du vent et de la vanité des vanités. Ernesto hésite et le dit : Notre roi.

Un manifeste, oui; un texte, un théâtre qui travaille et qui lui laisse des traces. En profondeur. Jeanne à Ernesto: "Tu as dit Dieu n'existe pas comme une fois tu avais dit ; Dieu il existe." Ce n'est pas vrai qu'il n'y a plus d'Espoir. Il faut juste être pareil.