La tradition celtique · Françoise Le Roux, Christian J-Guyonvarc'h · REVIENS À TOI (ENCORE)

La tradition celtique · Françoise Le Roux, Christian J-Guyonvarc'h · REVIENS À TOI (ENCORE)
Des récits étaient initialement destinés à la récitation...
Dramaturgie
Christian-J. Guyonvarc'h, Françoise Le Roux
06 Sep 1995
La Civilisation celtique
Payot
Langue: Français
Tous droits réservés

La civilisation celtique (extrait)

Françoise Le Roux · Christian J-Guyonvarc'h

L'irlandais est devenu, depuis 1921, la langue officielle de l'Etat Libre, puis de la république d'Irlande. Cependant cette promotion politique et sociale, trop tardive, a été impuissante à enrayer le recul de plus en plus rapide, de la langue parlée, laquelle ne joue plus aucun rôle social réel. La cause déterminante du déclin, a été la grand famine de 1848 qui a vidé le pays d'une grande partie de sa population (émigrée aux Etats-Unis où elle s'est anglicisée sans perdre totalement conscience de ses origines). La littérature irlandaise de langue anglaise, dite Anglo-Irish ou anglo-irlandaise, très importante à partir du XIXe siècle, et dont les grands noms sont Yeats, Joyce et Synge, ne doit être confondue en aucune façon avec la littérature de langue gaélique, de diffusion beaucoup plus faible, qui est encore productive.

Le style des récits mythiques irlandais fait apparaître la transmission écrite comme un état anormal et tardif de la tradition. Les langues celtiques, à aucune époque de leur existence, n'ont été prédestinées à la littérature et le contraste est paradoxal entre l'oralité foncière de la tradition celtique et l'acharnement mis par les Irlandais christianisés à copier et recopier inlassablement leurs textes, quels qu'en soient la nature et le contenu. Quelques chercheurs irlandais sont même allés jusqu'à supposer que les textes, tels que nous les connaissons, ont été des canevas sur lesquels les filid brodaient à l'infini. Il y a du vrai dans cette supposition dans la mesure où - cela se vérifie aisément - la prose de certains récits constitue le commentaire, plus libre, et la répétition de fragments versifiés énigmatiques, concis et archaïques. Mais il ne faut pas confondre le file de haute époque, savant longuement formé à des techniques poétiques et mnémotechniques de très haut niveau et le "conteur» du folklore moderne qui, comme ses homologues de toute l'Europe, a toujours des formules usuelles et personnelles de présentation et de conclusion, ou au moins une certaine façon de dire.

Les récits étaient donc initialement destinés à la récitation et non à la lecture individuelle. Et s'ils ont été transcrits par les filid christianisés, c'est parce qu'ils n'avaient plus aucune importance religieuse après la facile conversion de l'Irlande. Ils n'étaient plus que des figmenta poetica, des "fictions poétiques" selon le mot final du transcripteur de la Tain Bo Cuainge ou "Razzia des Vaches de Cooley", le principal récit épique médiéval. Mais ces récits racontaient aussi les faits et gestes de personnages qui appartenaient à l'histoire d'Irlande (dont il importait peu qu'elle fût légendaire ou réelle puisqu'elle était authentique, réservée aux Gaëls et à leurs ancêtres les plus lointains) et c'est bien ainsi que les moines les ont traités, occultant, pour la bonne réputation même de leurs héros, tout ce qui leur apparaissait comme inconciliable avec les préceptes de l'Evangile.

Mais ils ont omis de biffer ou de transformer quantité de détails ou d'épisodes qui leur semblaient anodins. C'est très sensible dans les recueils juridiques mais ce l'est tout autant ailleurs. Sans la conversion de l'Irlande nous n'en saurions sans doute pas plus aujoud'hui sur sa mythologie que nous n'en savons sur la mythologie gauloise. Ajoutons le fait significatif déjà noté, que, dans la chronologie de la transcription, les récits mythologiques et épiques ne sont pas, et de loin, les plus anciens. La première littérature irlandaise a été latine et chrétienne, puis gaélique, mais tout aussi chrétienne.