Le Monde · 4 juin 1985 · LA PLUIE D'ÉTÉ

Le Monde · 4 juin 1985 · LA PLUIE D'ÉTÉ
"Les Enfants", film réalisé par Marguerite Duras en 1985
Dramaturgie
Claire Devarrieux
1985
Le Monde
Langue: Français
Tous droits réservés

Le Monde · Cinéma

4 juin 1985 · CLAIRE DEVARRIEUX

LES ENFANTS, de Marguerite Duras , L'immense petit Ernesto

On imagine très bien Marguerite Duras et ses deux acolytes, Jean Mascolo (son fils), et Jean-Marc Turine, piquer des fous rires en adaptant Ah! Emesto, tout petit texte jubilatoire (1) devenu Les Enfants, un film comique.

En deux mots, voici le cas Ernesto : immense pour son âge, - il a sept ans et en paraît quarante, - l'enfant annonce qu'il ne retournera plus à l'école, parce que, dit-il, "on m'apprend des choses que je ne sais pas." Stupeur des parents, braves gens un peu demeurés (Daniel Gélin et Tatiana Moukhine), et de l'instituteur (André Dussolier). La suite de l'histoire donnera raison à Ernesto.

Lire, écrire, compter ? "Je saurai... par la force des choses ", répondait l'enfant dans Ah ! Ernesto, conscient de savoir "dire non, et c'est bien suffisant". "Comment l'enfant Ernesto envisage-t-il d'apprendre ce qu'il sait déjà ?" était donc la question, perfide, du maître d'école. Riposte : "En rachâchant".

En rachâchant a été le titre d'un court métrage fidèlement réalisé par Jean-Marie Straub. Pour un long métrage, il a bien fallu argumenter, développer les situations autour du noyau (cette décision, cette phrase d'Ernesto), ajouter des personnages. Dévastateur, l'humour assume ses responsabilités, et, Marguerite Duras reprend son sérieux pour livrer quelques réflexions sur Dieu, l'école, la connaissance, sur les parents et leur progéniture. Le film énonce alors le célèbre "pas la peine" durassien.

L'acteur adulte Axel Bogousslavsky interprète avec une drôlerie raide, émouvante, la gravité d'Ernesto, le rebelle génial, et il fait vibrer en nous la corde la plus sensible, celle du désir de liberté, du refus. Sans doute le texte des Enfants prendrait-il au théâtre sa vraie dimension, puisque, aussi bien, le film est d'une dramaturgie très figée. Marguerite Duras, depuis dix ans, avait si magistralement brouillé les cartes de l'image et du son au cinéma que l'on étouffe un peu en regardant ces comédiens jouer - en vase clos, et comme d'habitude - avec un dialogue farceur qui trouble la pureté initiale d'Ah ! Ernesto.

(1) Ed. François Ruy-Vidal et Harlin Quist. 1971.