23/08/01 · Cahier de répétitions · Sabine Quiriconi · LA BÊTE DANS LA JUNGLE

23/08/01 · Cahier de répétitions · Sabine Quiriconi · LA BÊTE DANS LA JUNGLE
À Hânsel, À Gretel : les costumes.
Document de répétitions
Costumes
Sabine Quiriconi
23 Aoû 2001
Cahier de répétitions
Langue: Français
Tous droits réservés

Lorient, Jeudi 23- août 2001

À Hânsel,
À Gretel,

On fabrique avec des bouts de ficelle, des fausses fourrures, des laines coloriées, du papier crépon, du coton, des coussins et des plumes. On découpe des figurines dans de vieux torchons de cuisine qui s'effilochent. On récupère dans les salles des ventes le linge des familles mortes. On tournicote le doudou ; on s'entortille dans les fils de couleurs qui se brisent comme un cheveu long. Avec la bouche on casse le nylon jusqu'à risquer l'entaille aux commissures des lèvres. On aime la robe, la rose, avec toutes les perles qui brillent, le jupon transparent qui gratte, et, la taille bien prise, on pourrait tourbillonner au bal de S.Thala. Allez. La poupée descend de l'armoire, se prend immanquablement le pied dans l'édredon au crochet. Elle se maquille les joues pour le bal de Lola Valeria Steiner. Il n'y a pas de breloque qui tienne, la doublure est usée, elle remonte le jupon jusqu'à ses fesses de celluloïde. On découvre l'imposture : elle n'a pas de culotte.

On fabrique une aventure en Alaska qui ne supporte pas les décolletés. On découpe droit des bandes de fourrure synthétique, en tirant la langue. On fait les ours et les fauves, - tigrés, tachetés, bigarrés avec des moustaches et des queues de castors. On ajuste de grandes chaussures, on coiffe des chapeaux très hauts qui font plat le dos de la tête ; on n'entend plus rien dessous. On joue au fouet qui vrille. De la baguette, on fend l'espace : - Monsieur, je retourne au désert ! On regarde la boucle de ses chaussures,
si ça brille. On ajoute un peu de lumière avant de sauter dans la trappe.

Ça se passerait dans la neige et on hurlerait de temps en temps plus fort que des loups. On ferait semblant d'avoir peur. On ajouterait, aux crayons de couleur, des empiècements irisés sur les costumes du dimanche, des ors, des verts, des rouges de grenadine, on dessinerait des blessures qui saigneraient et des cœurs d'amour. On essaierait sans poches. Avec des poches. Avec un col. Plus court. Plus long. Quand ça gratte, on arrache. On recoudrait avec du scotch, sans que personne ne le sache. On assemblerait. Parfois ça a l'air de tenir ensemble. On fait des trous pour passer les bras.

On serait soldat rose, impeccable ballerine embourbée dans l'épaisseur de ses tulles. Marquis, on naviguerait au long cours ; on palpiterait en amoureuse dans un déshabillé de soie orange ; on ferait avec de l'eau la pluie des fleuves et les fièvres de la malaria. On surfile. On volerait le corset de sa grand-mère pour voir comment ça plaît le soir devant la glace et on s'emmêlerait les doigts dans les lacets. Tout le monde serait derrière la porte à trouver le temps long. La dame est vieille, elle a quatre ans. C'est elle la ballerine. Elle grimace le piou-piou des oiseaux. Sur la figure d'une poupée on dessinerait des tâches, au feutre indélébile, pour voir comment ça ferait si elle était morte et avant, malade et laide.

On n'aime plus ce qu'on a fait. Ça pend, ce n’est pas coupé droit. Ça se décolle. On voit des trous. On se prend les doigts dans la machine à coudre. On cache les délits derrière le canapé.

On trafique au pied de biche dans le mur et dans le miroir la robe blanche et la fraise du mariage. Sous les dentelles on aperçoit un peu la peau. On ajoute par ci par là une queue de pie en crépon, des collants verts qui plissent, un petit boléro espagnol pour piquer le rhinocéros s'il approche, une jupe dont on ne distingue pas le devant du revers. On se prépare à danser la comédie, en chaussures souples, devant la glace. Et puis on apprend le piano.