Jumeaux ·  ANTIGONA

Jumeaux ·  ANTIGONA
Jumeaux : culture et mythologie
Dramaturgie
Dictionnaire des symboles - Éditions Robert Laffont
Les Jumeaux : Du pareil au même ?
Langue: Français

"Les frères sont jumeaux (un seul œuf dupliqué), clonage insupportable que la mort seule peut simplifier." 
Éric Vigner

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JUMEAUX

Toutes les cultures et mythologies témoignent d'un intérêt particulier pour le phénomène des jumeaux. Quelles que soient les formes sous lesquelles ils sont imaginés, parfaitement symétriques, ou bien l'un obscur et l'autre lumineux, l'un tendu vers le ciel et l'autre vers la terre, l'un noir et l'autre blanc, rouge ou bleu, l'un à tête de taureau et l'autre à tête de scorpion, ils expriment à la fois l'intervention de l'au-delà et la dualité de tout être ou le dualisme de ses tendances, spirituelles et matérielles, diurnes et nocturnes. C'est le jour et la nuit, les aspects célestes et terrestres du cosmos et de l'homme. Quand ils symbolisent ainsi les oppositions internes de l'homme et le combat qu'il doit livrer pour les surmonter, ils revêtent une signification sacrificielle: la nécessité d'une abnégation, de la destruction ou de la soumission, de l'abandon d'une partie de soi-même, en vue du triomphe de l'autre. Et ce sera naturellement aux forces spirituelles de l'évolution progressive d'assurer leur suprématie sur les tendances involutives et régressives. Mais il arrive que les jumeaux soient absolument semblables, doubles ou copies l'un de l'autre. Ils n'expriment plus alors que l'unité d'une dualité équilibrée. Ils symbolisent l'harmonie intérieure obtenue par la réduction du multiple à l'un. Le dualisme surmonté, la dualité n'est plus qu'apparence ou jeu de miroir, l'effet de la manifestation.

Des jumeaux à l'origine du monde.

De l'Antiquité à nos jours, pour les mythologies de nombreuses civilisations, le couple originaire est gémellaire. Une lecture de l'Ancien Testament, que certains n'ont pas hésité à faire, peut considérer Adam et Ève comme des jumeaux, même s'ils ne sont pas désignés comme tels de façon explicite. Le récit de la Genèse, en effet, stipule: «Dieu créa l'homme à son image, à l'image de Dieu il le créa, mâle et femelle il les créa. Or tous deux étaient nus et n'avaient pas honte l'un devant l'autre.» Ainsi, c'est bien de la même chair que Dieu créa deux êtres séparés et de sexe opposé. Chez les Dogons, peuple d'Afrique occidentale qui, au milieu du XXe siècle, avait gardé presque intacte sa culture, toute l'organisation symbolique et métaphysique de la société tourne autour de la perte originelle de la gémelliparité (capacité d'engendrer des jumeaux). Pour eux, les huit premiers ancêtres issus du couple originel sont en fait huit paires de jumeaux. Chacun de ces huit couples mit au monde des enfants et, dès cette nouvelle génération, les humains naquirent sans jumeau, uniques. Les Dogons ont conservé une croyance selon laquelle seules les naissances doubles sont parfaites, ainsi qu'un rite: chaque nouveau-né doit à sa naissance toucher le sol de ses quatre membres pour s'imprégner des âmes de sexe opposé dessinées par son ombre sur la terre. Toute naissance de jumeaux rappelle le temps où les êtres venaient par deux, dualité symbolisant l'équilibre entre le divin et l'humain.

Romulus, jumeau et assassin de Remus.

Comme la haine, l'autre face de l'amour dit-on, l'identité aurait son pendant dans l'altérité. Identiques, les jumeaux personnifient aussi deux aspects opposés d'une même réalité. Le thème de la rivalité entre jumeaux mythiques a été souvent traité. Le mythe le plus connu est celui de Romulus et Remus. Nés des amours de la vestale Rhéa Silvia et du dieu Mars, les deux enfants avaient été abandonnés sur le Tibre après leur naissance, tandis que leur mère était mise à mort pour avoir renoncé à son voeu de virginité. Recueillis par une louve, les jumeaux grandirent et décidèrent, devenus adultes, de fonder une ville sur le mont Palatin. Un présage indiqua que Romulus en serait le roi. Il traça sur le sol un sillon pour marquer les limites de sa ville, mais Remus, par provocation, l'enjamba et fut assassiné par son frère.

Alors que dans la mythologie romaine, la relation de Romulus et Remus aboutit à une issue tragique, permettant la fondation de Rome en 753 avant Jésus-Christ, chez les Grecs, au contraire, la rivalité des jumeaux pour le pouvoir, loin d'être un mal, était plutôt considérée comme bénéfique pour le royaume, le modèle de gouvernement résidant dans l'existence d'un contre-pouvoir.
L'Athénien des Lois de Platon l'explique à un interlocuteur spartiate: « Un dieu qui prenait soin de vous et qui, en prévision de l'avenir, faisait naître chez vous deux rois jumeaux au lieu d'un, a ramené l'autorité à des limites plus justes.»

Textes extraits du DICTIONNAIRE DES SYMBOLES, Éditions Robert Laffont, collection Bouquins,
et de l'ouvrage LES JUMEAUX de MYLÈNE HUBIN-GAYTE, Éditions Gallimard, collection Découvertes.