Entretien entre Ginette Noiseux et Johanna Nizard · SEXTETT

Entretien entre Ginette Noiseux et Johanna Nizard · SEXTETT
Entretien Johanna Nizard
Note d’intention & entretien
2008
Espace Go - Montréal
Langue: Français
Tous droits réservés

SEXTETT

Entretien avec JOHANNA NIZARD / SARAH

« De quoi as-tu peur? Elle l'enserre de ses bras. Le baiser de la mort. » Sarah

Ginette Noiseux :
Johanna Nizard est-il un nom juif, arabe, égyptien?

Johanna Nizard :
Le nom et mes origines sont berbères. Mon père est un Juif tunisien d'origine berbère et ma mère est Juive géorgienne. Deux extrêmes, la rousse et le brun!

G.N. :
Dans SEXTETT, ton personnage, chante en arabe. Est-ce une décision commune entre Éric, Rémi et toi? Cela me semble tellement provocant, d'autant plus que ton corps et ton visage sont cachés derrière un costume burlesque de poupée gonflable.

J.N. :
C'est Rémi qui m'a demandé si je pouvais chanter en arabe. Mon père a toujours refusé de parler arabe à la maison parce qu'il a toujours voulu être Français, mais toute ma famille, mes grands- parents, parlaient arabe. J'avais envie de revenir à ce que j'étais, en tout cas à ce 50% de ce que j'étais. Il ne faut pas oublier que Rémi a écrit ces personnages pour chacune d'entre nous, à partir, parfois, de certains repères biographiques. J'aurais pu chanter en hébreux, mais j'ai refusé parce que j'avais envie de me relier à ma moitié tunisienne. Mon personnage s'appelle Sarah, un nom porté par beaucoup de Juifs, mais aussi par beaucoup d'Arabes.

G.N. :
Que raconte cette chanson?

J.N. :
Elle dit tout le contraire de ce que Sarah est en train de faire : « Il m'est interdit de t'aimer, ne m'approche pas, je ne veux plus t'aimer, tu es coupable de tout, après ce que tu m'as fait. » Il s'agit d'un règlement de compte après une séparation. C'est magnifique parce que ça crée un formidable paradoxe.

G.N. :
Juste pour situer ton personnage dans la fable de SEXTETT, Sarah est la première fille avec laquelle Simon a fait l'amour...

J.N. :
C'est elle qui a dépucelé Simon, en gros. À mon avis, c'est une femme qui a dû connaître pas mal d'hommes avant. Elle est la copine de quartier, la copine d'enfance, la fille qu'on n'oublie jamais.

G.N. :
Mais on n'est pas dans le réel, c'est une projection de Simon, complètement fantasmée...

J.N. :
Complètement fantasmée, oui. Sarah est un renouement étrange, qui n'est pas réel, et qui porte tout le potentiel de vie et d'inquiétude de Simon.

G.N. :
Comment avez-vous abordé ce personnage-là en répétition?

J.N. :
On l'a abordé comme une « bimbo », une Américaine surfaite et refaite de partout, comme une poupée Barbie. La Betty Boot d'aujourd'hui, quoi.

G.N. :
Un personnage à la Copi ...

J.N. :
Oui, à la Copi, très clownesque. Je trouve que Sarah est un personnage très poétique, très lumineux et je la vois même comme un personnage nostalgique : la chaleur des coeurs adolescents, les choses qui reviennent, les sensations, les mots qu'on dit, l'époque de quand on a 15 ou 16 ans, les expressions, les jeux, la connerie, la liberté d'être ce qu'on est dans une chose complètement exaltée, exaspérée et exagérée.

G.N. :
Ton personnage est tout de même vulgaire, grotesque, mais aussi très drôle... Comment avez-vous fait évoluer Sarah du texte à la scène?

J.N. :
Petit à petit. À la lecture, j'étais complètement perdue... Je me demandais ce qu'on allait bien pouvoir faire avec ce machin. J'ai été perdue pendant deux ou trois semaines. Et petit à petit, avec Éric, nous y avons ajouté une couleur, puis une autre, et encore une autre, et les choses s'accumulaient. Nous avons travaillé l'araignée, l'insecte, les cabrioles, les positions de baise... Tout était « trop ». Et je me retrouve en plus à jouer une femme, qui n'est pas vraiment une femme. Éric m'a aussi dirigée là- dedans : je rentre sur le plateau en me disant que c'est aussi un homme qui joue à la femme En fait, le défi c'était de trouver la Sarah du « trop », mais juste. D'être énorme, mais sur la ligne juste.

G.N. :
Et comme femme, comme actrice, de jouer ce personnage-là...

J.N.: Je ne me suis jamais sentie aussi bien dans le corps. Parce que je suis cachée, il ne peut rien m'arriver, mais je peux tout faire. C'est très dangereux. C'est vraiment sur une ligne, sur un fil. C'est un rôle très casse-gueule, mais il n'est pas casse-gueule dès le moment où tu sais quels sont les objectifs. Je viens pour bouffer Simon, pour le tuer, pour le piquer.

G.N. :
Comment les gens ont-ils reçu la pièce? Quand tu rencontrais par exemple de jeunes étudiants, comment ont-ils réagi devant les propositions de ce spectacle?

J.N. :
Beaucoup de références au cinéma, à Lynch. En fait, beaucoup de références au trouble, à la gêne. Plusieurs m'ont dit qu'ils n'étaient pas bien à l'arrivée de la chienne. La chienne, tu la prends, tu l'acceptes et tu vas jusqu'au bout. Ou tu refuses et ce n'est pas possible, pas gérable, pas regardable. Mais Sarah donne, dès le départ, le ton à la pièce, elle avertit les spectateurs d'une certaine manière de ce qu'ils vivront en leur disant : « Attention, on est là pour rigoler, mais pas complètement. » Tout ça avec l'apparence de la légèreté. Rémi De Vos, il est terrifiant. Son texte ne fait pas de cadeau, il va
jusqu'au bout. Je trouve que le personnage de Simon c'est un Hamlet de 2010. C'est quand même une quête de soi dans un endroit où tout est questionné et tout est ouvert, un gros déballage de tout. Le rapport aux femmes, le rapport à la mère, le rapport à la chair, à la descendance, le rapport à qui je suis, d'où je viens, qui je suis aujourd'hui, le qui, le quoi, le comment, le tout... C'est un bordel de questions. Et c'est assez provocant, dérangeant, très radical.

G.N. :
Et c'est quoi, cette radicalité là pour toi?

J.N. :
La radicalité c'est de dire les choses comme les dit Rémi, aussi simplement et cruellement. Par exemple, lorsque Jane revient et qu'elle dit à Simon : « Qu'est-ce que vous êtes en train de faire avec cette chienne? », il avoue tout, dit tout, et c'est là que cette radicalité est merveilleuse parce qu'il dit jusqu'où il a été dans la recherche de lui-même, dans les recherches aussi sur son homosexualité, il dit tout de lui. Il en arrive à un abandon total, tout est possible. Tout est explosé, tout est mis à nu.

G.N. :
Est-ce que, pour toi, Simon est homosexuel?

J.N. :
Non, parce qu'il est tout! Et c'est ce que je trouve radical dans cette pièce aussi. Je suis une femme et demain je peux tomber amoureuse d'une femme. Ou d'un autre homme. On l'a tous en nous, et c'est pour ça que le rôle de Sarah est dur et beau en même temps, parce qu'il est tout. De manière cérébrale, on est tous transsexuels. Je trouve que la femme est un magnifique homme!

G.N. :
As-tu l'impression que le public va réagir différemment ici?

J.N. :
J'ai toujours pensé que les Canadiens sont des super fous, des gens qui ont envie de voir de nouvelles choses.

G.N. :
Comment était le travail avec Anne-Marie et Marie-France?

J.N. :
Tu touches la corde la plus sensible de cette aventure. J'ai rencontré mes soeurs de théâtre. Vraiment.

G.N. :
Est-ce que l'approche du jeu était différente?

J.N. :
Non. Ces filles sont puissantes, elles sont des reines, donc elles connaissent leur valeur. Elles sont des flippées comme toutes les actrices, des « traqueuses », mais elles savent. Donc elles sont très simples, très généreuses... incroyablement généreuses. Ce sont de vraies femmes, avec tout ce qu'il y a à l'intérieur et tout ce qu'il faut être, en plus d'être rayonnantes. Pour moi, elles sont deux exemples. Je suis amoureuse de ces filles.

Extrait du dossier public · Espace Go, Montréal

PROPOS recueillis par Johannie Deschambault